Le Tardiglaciaire

 

Après le « stade des lacs », le réseau glaciaire se scinde et les grands appareils s’individualisent dans leurs vallées respectives. Cette période de fonte progressive, entrecoupée de stades de progression et de stagnation des langues glaciaires est appelée Tardiglaciaire.

Ce recul progressif couvre une longue période d’environ 8 à 9000 ans, entre 21 000 et 12 000 ans BP.

En 1909, Penck et Brückner mettent en évidence trois stades post-würmiens appelés par les noms de localités type des Alpes orientales : Bühl, Gschnitz et Daun. Ceux-ci ont laissé des traces sous la forme de vallums morainiques parfois imposants, notamment dans le Gschnitztal, vers Brig (glacier d’Aletsch), près de la Roche-sur-Foron (glacier de l’Arve).

Dans les années 1960, de nouvelles méthodes ont permis, sous l’impulsion des glaciologues autrichiens, de modifier ce schéma en l’étoffant, complétant ainsi les trois stades initiaux. Les auteurs, dont les terrains de recherche recouvrent progressivement l’ensemble du domaine alpin, ont peu à peu tenté de préciser la paléogéographie de chaque stade. Le schéma de synthèse proposé par Maisch, à la suite de son étude des glaciers de l’Engadine, constitue actuellement le modèle référent de la déglaciation des vallées. Il met en évidence six stades principaux, qui sont, d’aval en amont, les stades de Bühl, de Steinach, du Gschnitz, de Clavadel, du Daun et d’Egesen ; deux sont identifiés comme des récurrences, le Gschnitz et le dernier, l’Egesen correspondant au maximum du Dryas récent.

Parallèlement, et à la suite de Maisch, de nombreux travaux ont été effectués sur les stades tardiglaciaires. Citons, pour mémoire, les travaux de Bless (1984) pour la partie orientale du Massif du Mont-Blanc, de Porter et Orombelli (1982) pour le versant italien du Mont-blanc, de Wetter (1987), Dorthe-Monachon (1986) ainsi que Coutterand et Nicoud (2005) pour la Vallée de l’Arve, Durussel (1992) pour la Vallée du Trient.

La grande récurrence du Tardiglaciaire il y a 16 000 ans

Il y a 16 000 ans, la déglaciation est déjà bien avancée, les grands appareils glaciaires ont quitté le fond des vallées. Un refroidissement brutal provoque une importante récurrence des langues glaciaires.

Elle porte le nom de stade de Gschnitz, du nom de Gschnitztal (Tyrol) où la moraine frontale de Trins a été étudiée. Lors de cette crue, ce glacier de vallée se développe alors sur une longueur de près de 18 km. La moraine du stade de Gschnitz a fait l’objet de datations des blocs erratiques par la méthode des âges d’exposition. L’âge obtenu est d’environ 16000 ans.

A la recherche de la glace la plus ancienne sur Terre
PDF Datation et paléogéographie du stade de Gschnitz

En Valais, les glaciers constituent encore un réseau et les grandes vallées latérales sont occupées par de puissantes langues glaciaires. Le glacier du Rhône bien alimenté par les grands appareils de sa rive droite, Aletsch Fiesch, Löchental, puis de sa rive gauche, Mattertal, Turtmanntal, vient mourir un peu en amont de Sierre. Les glaciers latéraux de la rive gauche atteignent à nouveau la vallée du Rhône.

Dans la vallée de l’Arve, les glaciers de la vallée de Chamonix réunis avancent une dernière fois jusqu’au Fayet.

A cette période, les glaciers ont quitté le Jura. Il en est de même dans les Vosges et les Préalpes. Toutes les vallées ont été profondément surcreusées par les épaisseurs considérables des grands appareils glaciaires qui les occupaient quelques millénaires auparavant. Elles présentent une succession de profonds lacs qui seront comblés par les alluvions fluviatiles au cours des millénaires suivants.

Le Tardiglaciaire de la vallée de l’Arve

Le retrait du glacier de l’Arve

Depuis 20 000 ans, le glacier de la vallée de l’Arve s’est progressivement retiré. Les glaciers ont reculé jusqu’à occuper leurs positions actuelles dans le massif du Mont-Blanc. Cette évolution fut cependant ponctuée de périodes de stabilisation, appelées stades. Entre – 20000 et – 11000 BP, les glaciers entament ainsi un lent recul entrecoupé de stationnements.

Ainsi, pour le glacier de l’Arve, on décèle au moins huit étapes de stationnements voir de réavancées en aval du verrou de Cluses, et dix autres entre Cluses et Chamonix.

Les stades de la basse vallée de l’Arve

En aval du verrou de Cluses, plusieurs étapes sont identifiées après le maximum würmien. La plus importante est le stade de Bonneville-Marignier, caractérisé par deux stationnements du glacier dans l’ombilic de Cluses, comme en témoignent les faibles accumulations de la rive droite (Dorthe-Monachon, 1986).

La paléogéographie de la langue glaciaire est suggérée par la présence de replats d’origine morainique à la topographie très molle que l’on reconnaît sur plusieurs kilomètres en amont de Marignier. Ce replat s’étend entre les hameaux de Charmey (620 m), Soucy (550 m) puis en rive droite du Giffre au lieu-dit les Rots (510 m). En rive gauche, un replat d’origine morainique est reconnu au hameau de Blanzy (580 m).

Les stades des Rocailles et de Bonneville-Marignier
Les stades des Rocailles et de Bonneville-Marignier

Les stades de retrait en amont du verrou de Cluses

Durant une grande partie du Tardiglaciaire, le vaste ombilic du Fayet-Sallanches était encore occupé par le glacier de l’Arve. La rive gauche de la vallée se révèle ainsi particulièrement fournie en dépôts glaciaires, et la morphologie y a enregistré les fluctuations du glacier arvien avec une assez bonne résolution. On identifie de nombreux cordons morainiques le long du versant entre 1 050 m et 520 m d’altitude. Ils attestent de plusieurs niveaux de stationnements et, peut-être, de réavancées du glacier de l’Arve. Cependant, ces fluctuations s’inscrivent dans un contexte global de déglaciation en milieu lacustre, la vallée étant alors occupée par un vaste lac (Baconnais et al., 1981).

Le stade de Magland

Pendant le stade de Magland, c’est encore un glacier puissant qui occupe la vallée ; il dépose les moraines latérales de Cordon-Combloux et les superbes blocs erratiques de granité du Mont-Blanc de Médonnet, échelonnés entre 700 et 900 m d’altitude, sur le versant dominant Sallanches. Le sentier des graniteurs (Gay et Burnier, 2000 ; Burnier, 2005) parcourt le versant interne de la moraine. En amont, les trois cordons morainiques du Lac Noir (au niveau des Houches) représentent d’autres témoins contemporains de cette extension. Le glacier dépose aussi une moraine latérale au-dessus des Plagnes (sur Passy) qui sera ravinée par l’action destructrice des eaux du Nant Ferney et du Nant Gibloux. La fameuse cheminée de fées dominant Saint-Gervais, surmontée d’un volumineux bloc de granité, en est le témoin spectaculaire.

A ce stade, le glacier de l’Arve ne difflue déjà plus par la dépression de Megève, dont le seuil se situe vers 1 100 m. Deux niveaux de constructions morainiques sont reconnaissables. Ils peuvent être globalement corrélés avec deux stades de stationnement du glacier, suivis de plusieurs niveaux d’abaissement. Des âges de 17 540 +/- 500 10Be BP et 17 700 +/- 700 ‘°Be BP, obtenus par la mesure des cosmogéniques produits in situ (10Be) situent cette extension dans le Tardiglaciaire ancien. La technique retenue permet de quantifier la concentration en 10Be contenu dans les quartz.

Le stade du Fayet du Milieu

Puis, la déglaciation se poursuit ; les crêtes morainiques latérales du Fayet d’en Haut (altitude 740 m) et du Fayet du Milieu (710 m) témoignent d’un glacier qui atteint encore la plaine de Domancy vers -16000 ans.

Par le volume de cette construction morainique et sa préservation c’est, du point de vue morphologique, le stade le mieux défini du complexe du Fayet. Les critères géomorphologiques (crête morainique haute et effilée, bien détachée du versant) et la position altitudinale de la ligne d’équilibre glaciaire permettent d’interpréter ce stade comme une réavancée du glacier. Dans les Alpes orientales, la grande réavancée des glaciers durant le Tardiglaciaire est identifiée dans la vallée de Gschnitz par la moraine de Trins.

Le stade de Gschnitz a été daté par la mesure des cosmogéniques produits in situ. Le résultat obtenu est de 16 000 +/- 400 ‘°Be BP (Ivry-Ochs et al., 2000). Un âge identique d’environ 16 000 cal BP peut donc être envisagé pour le complexe morainique du Fayet. Vers -15000 ans, le front du glacier remonte dans le bassin de Servoz. En libérant l’éperon rocheux des Gures, il abandonne alors quelques blocs de granité dont le plus connu fut considéré pendant longtemps comme un dolmen. En réalité, le bloc du Laby est tout simplement un bloc erratique (communication F. Durand). A partir de cette époque, le glacier de l’Arve quitte définitivement l’ombilic du Fayet – Sallanches et se cantonne désormais entre l’ombilic de Servoz et la vallée de Chamonix. L’Arve entretient alors le vaste delta de Chedde, au pied du verrou cristallin des Gures (Baconnais et al. 1981).

 

Reconstitution du stade du Fayet vu des Quatre Têtes ©CNM
Reconstitution du stade du Fayet vu des Quatre Têtes ©CNM
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PDF Déglaciation de la vallée de l’Arve (Coutterand et Nicoud, 2005)

Le stade des Houches

Pour rencontrer le dernier stade de stationnement du glacier de la vallée de Chamonix (vers -14 000 ans), appelé stade des Houches, il faut remonter en amont de Servoz, au niveau du verrou cristallin des Houches. A cette époque, le front du glacier atteint la plaine des Chavants et la gorge de l’Arve en rive droite.

A ce stade, la vallée de Chamonix présente encore l’aspect d’un glacier de vallée ; tous les appareils du massif du Mont-Blanc sont jointifs. Le glacier du Tour, qui atteint 1 600 mètres d’altitude sur sa rive droite, difflue par le Col des Montets, comme en témoigne la petite moraine latérale qu’on retrouve à l’altitude de 1 650 m au-dessus de Montroc. L’extrémité de ce diverticule n’est pas identifiée, et devait se situer entre Vallorcine et le Col des Montets. Les dépôts morainiques de la rive droite, bien illustrés par la moraine du Clôt (1 120 m), révèlent une importante accumulation de granité du Mont-blanc et l’absence de matériaux provenant des Aiguilles Rouges. Autrement dit, les appareils de la rive droite (Aiguilles Rouges) étaient tous déconnectés du glacier principal de l’Arve. Celui-ci était alors alimenté uniquement par des glaciers issus du massif du Mont-Blanc.

Puis, il y a 14 000 ans, la remontée graduelle des températures durant les interstades chauds du Bôlling et de l’Allerôd (noms attribués par les palynologues) est démontrée par la remontée de la limite supérieure de la forêt (Jorda, 1988 ; Magny, 1995). Ceci provoque la disparition du glacier de l’Arve qui libère un profond lac s’étendant du verrou cristallin des Houches à la plaine des Praz en amont de Chamonix. Les glaciers latéraux descendus du massif du Mont-Blanc (Mer de Glace, Glacier d’Argentière, du Tour, des Bossons, etc.) existent probablement encore à cette époque, mais sont sans doute retirés dans leurs hauts bassins versants respectifs.

Le Tardiglaciaire de la vallée de l’Aar

Au maximum würmien, le glacier de l’Aar comprenait tout le versant nord de l’Oberland bernois à l’exception de la vallée de la Sarine. Sa langue principale avançait jusqu’à Berne, en traversant la région de Thun, tandis qu’une diffluence s’engageait dans le col du Brünig. Les lacs de Thun et de Brienz ont ensuite occupé la vallée surcreusée profondément par la langue glaciaire. Ils étaient autrefois reliés, avant d’être séparés à Interlaken par le delta (masses d’alluvions) de la Lutschine.

Il y a 16 000 ans, le glacier de l’Aar franchit encore le verrou du Kirchet et atteint le site de Meiringen. Dans la haute vallée de l’Aar (Oberhasli), au niveau de l’hôtel du Grimsel, le glacier présente encore une épaisseur considérable  (plus de 500 m) alimenté par la diffluence du glacier du Rhône du col du Grimsel. Le glacier flottant vêle alors dans le lac de Brienz qui s’étendait jusqu’au verrou calcaire incisé aujourd’hui par les célèbres gorges de l’Aar. De cette extension, il reste aujourd’hui les cordons morainiques et de nombreux blocs erratiques de granite perchés sur la rive gauche du verrou.

Par la suite le glacier libère progressivement l’Oberhasli. Le dernier refroidissement du Dryas récent (- 12 000 ans) permet encore à la langue glaciaire d’atteindre Handegg. C’st au niveau du verrou d’Handegg que se mettent en place les  chutes de l’Aar.   

 

La déglaciation de la haute vallée de l’Aar en quatre étapes

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PDF Déglaciation Haslital (Wirsig et al 2016)

La déglaciation à l’échelle de la planète

Elle se réalise en deux temps, d’abord assez lentement : de – 18 000 à -15 000 ans, les glaciers perdent un quart de leur volume ; puis, il y a 14 000 ans, la fonte s’accélère. Des travaux récents, fruits de l’examen des carottages « NorthGRIP » du Groenland, suggèrent alors une évolution des températures particulièrement rapide, de l’ordre de quelques années à peine : « Les renversements climatiques se produisent aussi abruptement que si quelqu’un avait soudain appuyé sur un bouton », remarque Dorthe Dahl-Jensen, coordinatrice du projet NorthGRIP.

La Récurrence du Dryas récent, dernier sursaut de la glaciation

Il y a 14 000 ans, les interstades chauds du Bølling et de l’Allerød sont suivis, il y a 12 000 ans, d’un net et brutal refroidissement, le Dryas récent, qui sert de limite aux temps quaternaires. Il tire son nom d’une plante de la famille des Rosacées, Dryas octopetala, caractéristique de la toundra, dont on retrouve le pollen dans les sédiments d’un lac danois, au-dessus d’une strate comprenant des pollens d’arbres, démontrant un refroidissement marqué.

Dryas octopetala
Dryas octopetala

 

Tels les Saints de Glace qui marquent la fin de l’hiver, ce refroidissement brutal fait de nouveau progresser les langues glaciaires de plusieurs kilomètres ; toutes les hautes vallées en portent les traces. Les moraines frontales et latéro-frontales attribuées au Dryas récent sont généralement situées quelques kilomètres seulement en aval des moraines du Petit Âge glaciaire et ont localement conservé une fraîcheur surprenante, telle celle de Praz-de-Fort, dans le val Ferret (Suisse).

Durant cette période, le glacier du Rhône s’avance alors jusqu’à Obergesteln tandis que le glacier d’Aletsch atteint une dernière fois la plaine de Brigue. Dans la vallée de Chamonix, le front de la Mer de glace pénètre jusqu’au centre de Chamonix, où le relief morainique boisé du parc Couttet, derrière le Casino actuel, marque l’extension maximale frontale de cette dernière crue glaciaire. Plus haut, le glacier d’Argentière rejoignant le glacier des Bois, dépose les reliefs glacio-lacustres et morainiques de la Joux et du Lavancher pendant que les moraines du glacier du Tour construisent les moraines du Planet et de Tré-le-champ.

Vallée de Chamonix.

https://chamonix.fr/index.php/actualites/408-quand-la-mer-de-glace-atteignait-chamonix.html

Trois étapes de la mise en place du relief du parc Couttet

1 – 12 000 BP, la Mer de Glace s’avance dans le lac de fond de vallée et dépose la moraine du parc Couttet

2 – 10 000 BP, le glacier s’est retiré, il reste le relief morainique

3 – Aujourd’hui, les alluvions de l’Arve ont comblé le fond de la vallée

Détour en Amérique du nord : le lac Agassiz

On s’accorde aujourd’hui sur l’origine du refroidissement d’il y a 12 000 ans. La péjoration climatique est associée à l’arrivée brusque des eaux de fonte de la calotte glaciaire de la Laurentide, recouvrant alors le Canada. En se retirant, l’inlandsis libère un vaste territoire situé entre les grands lacs et l’actuelle baie d’Hudson encore occupée par la calotte. Un vaste lac, bloqué au nord par l’inlandsis, d’un volume colossal, s’installe dans cette dépression : c’est le lac Agassiz, dont les Grands Lacs américains sont les vestiges. L’inlandsis au cours de son retrait libère cette retenue qui s’écoule alors brutalement — 1,2 million de m3/s — par la vallée du Saint-Laurent, alors qu’auparavant les eaux tributaires  du golfe du Mexique s’écoulaient par la vallée du Mississippi. L’apport brusque d’un tel volume d’eau douce et froide dans l’Atlantique nord eut un impact considérable sur le climat de l’Europe ; elle porta un coup d’arrêt à la circulation thermohaline et au régime du Gulf Stream, courant qui permet à l’Europe de bénéficier d’un climat tempéré.

La vallée du Rhône du Pléniglaciaire au Tardiglaciaire

1 – LGM, 28 000 BP

Tout le bassin lémanique est englacé jusqu’à l’altitude de 1200 m en contact avec le Jura. A Martigny, la surface du glacier du Rhône atteint l’altitude de 2100 m

2 – Le stade de Genève, environ 24 000 ans

Le glacier remplit encore la cuvette lémanique, son front dépose la moraine de la  vieille ville de Genève.

3 – Le stade de Monthey, 18 000 BP

Le glacier franchit encore le verrou de Saint Maurice. Le front glaciaire vêle dans un Léman qui s’étend 15 km plus à l’Est.

4 – La récurrence du Tardiglaciaire, 16 000 BP

Le glacier du Rhône s’est retiré dans sa haute vallée, probablement en amont de Visp. Les glaciers des vallées latérales (vals d’Anniviers, val d’Hérens, val d’Entremont), bien alimentés par les hautes montagnes de la rive gauche s’avancent dans la vallée du Rhône occupée par de profonds lacs. Les glaciers d’Anniviers et d’Hérens se déploient en forme de marteau au fond de la vallée du Rhône.