De 1848 à aujourd’hui, la Mer de Glace depuis le Montenvers

La Mer de Glace

Histoire de la Mer de Glace

La Mer de Glace : généralités 

Avec 350 km2 de glaciers, la France vient au dernier rang des pays alpins. Elle possède cependant le glacier le plus célèbre des Alpes, sinon du monde : la Mer de Glace, au cœur du massif du Mont-Blanc. Depuis sa « découverte » en 1741 par quelques Anglais, c’est le modèle même sur lequel ont été lentement perçus et imaginés tous les autres. C’est aussi, depuis le début du tourisme alpestre, la principale attraction de la vallée de Chamonix et celle qui a fait son succès. On peut y voir le type même du glacier de vallée réunissant les émissaires de plusieurs cirques glaciaires, et on peut y observer aisément la plupart des morphologies classiques du glacier : moraines, séracs, bandes de Forbes, bédières et moulins. C’est aussi l’un des premiers glaciers étudiés scientifiquement, et l’un de ceux dont l’histoire est la mieux documentée. La Mer de glace a même servi de décor ou d’argument à des romans comme Frankenstein de Mary Shelley, à des pièces de théâtre comme Le voyage de Monsieur Perrichon d’Eugène Labiche, et même à un opéra (Mer de glace, de Richard Meale, 1991).

Le complexe glaciaire le plus vaste des Alpes françaises se classe par la surface, avec une superficie de 30 km2, au troisième rang des glaciers alpins. En revanche, sa longueur actuelle (11 km depuis le fond de la combe Maudite) le place seulement à la cinquième place, derrière Aletsch, Gorner, Fiesch et Unteraar.

Vue d’ensemble Mer de Glace et glacier du Géant © JF Hagenmuller
Vue d’ensemble Mer de Glace et glacier du Géant © JF Hagenmuller

Le bassin d’alimentation, large d’une dizaine de kilomètres, prend naissance sur les hauts sommets de la crête frontière avec l’Italie. Il est constitué de plusieurs glaciers convergents : le glacier du Géant, y compris la Vallée Blanche et le glacier des Périades, issu de l’aiguille du Géant ; les glaciers d’Envers du Plan et d’Envers de Blaitière ; le glacier de Leschaux. Quant au glacier de Talèfre, dont le vaste bassin est divisé en deux lobes inégaux par la cloison du Jardin de Talèfre, sa confluence avec la Mer de glace, via les séracs de Talèfre, n’est plus active depuis 1945. Selon son cours, la Mer de glace prend différents noms. Son bassin supérieur principal est la Vallée blanche ; après les séracs du Géant, elle devient le glacier du Tacul, remarquable par les vagues et surtout les ogives, alternativement blanches et sombres (bandes de Forbes) qui zèbrent sa surface. C’est là que l’épaisseur du glacier est la plus importante, atteignant plus de 400 mètres. La Mer de glace proprement dite naît à l’aval de la confluence Leschaux-Géant ; sa longue langue s’étire, légèrement sinueuse, sur près de quatre kilomètres entre deux puissantes moraines latérales hautes de 100 à 200 mètres. Elle est encadrée par de petits glaciers qui ne la rejoignent plus : en rive droite, les glaciers du Moine, de la Charpoua, des Drus, du Nant Blanc (le plus vaste) et des Grands Montets ; en rive gauche, les glaciers de cirque plus réduits de Trélaporte et de la Thendia.

Les glaciologues Mougin et Vallot y ont distingué deux courants juxtaposés et plus ou moins caractéristiques des zones amont qui les alimentent : en rive droite, recouverte de moraines issues des promontoires rocheux de la Noire, de l’aiguille du Tacul et de l’aiguille de Leschaux, la « veine noire » ; en rive gauche, prolongement du glacier du Géant, la « veine blanche ». En somme, la Mer de glace provient de la confluence d’un glacier blanc et d’un glacier noir, comme devaient le faire autrefois le glacier Blanc et le glacier Noir du massif des Écrins. Aujourd’hui, la forte décrue glaciaire, associée au ralentissement de la vitesse du glacier, provoque une forte augmentation de la couverture détritique.

Le glacier se termine en biseau à l’amont immédiat de la gorge du Chapeau où se précipite l’Arveyron, son torrent émissaire. À la sortie de la gorge, dans la vallée de Chamonix, l’Arveyron prend une direction sud-ouest qui est celle de l’ancienne langue terminale, qui se nommait le glacier des Bois. Au XVIIe siècle, la Mer de glace venait mourir dans la plaine des Praz, et les séracs du glacier des Bois, partie visible depuis Chamonix du complexe glaciaire, n’étaient pas le moindre ornement de la vallée. La voûte de glace, précise Joseph Vallot, cessa de se former en 1872-1873.

Les bandes de Forbes

Ces bandes portent le nom de Forbes qui, pour la première fois en 1845, cartographia le glacier (carte de Forbes) et expliqua la présence de ces « chevrons ». visibles à la surface du glacier. On peut les distinguer facilement lorsqu’on prend un peu de hauteur au dessus de la gare supérieure du Montenvers. Ce sont des ogives alternativement claires et sombres, de forme parabolique, qui s’étendent à l’aval de la chute de séracs du Géant sur une distance de 5 km environ. Elles disparaissent vers les Echelets. Ces ogives se forment dans la chute de séracs du Géant. La vitesse de l’écoulement du glacier dans cette région est très importante (jusqu’à 800 m par an) et la chute de séracs est parcourue en un an. L’épaisseur du glacier dans la zone de séracs est faible (probablement inférieure à 60 m).

Carte de Forbes 1842
Carte de Forbes 1842

En hiver, les crevasses des séracs du Géant se remplissent de neige. Cette neige se transforme en glace blanche et bulleuse. C’est l’origine des bandes blanches. En été, au contraire, les crevasses sont largement ouvertes et exposées à l’accumulation de poussières apportées par le vent et l’eau de fonte qui regèle au fond des crevasses. C’est cette glace sombre, plus sale, qui formera plus à l’aval une bande sombre.

Une fois que la glace a parcouru la chute de séracs (la glace est en étirement), le glacier ralentit considérablement (la glace est en compression).Ainsi, un peu à l’aval de la « La Salle à manger », la vitesse d’écoulement est d’environ 200 m/an. Pour conserver les débits de glace, l’épaisseur du glacier augmente et atteint environ 350 à 400 m au centre du glacier du Tacul. Les bandes claires et sombres des séracs du Géant suivent ce mouvement du glacier et s’étirent ainsi considérablement dans le sens vertical. En outre, étant donné que la vitesse au centre du glacier est beaucoup plus importante que sur les bords, ces bandes vont prendre l’aspect d’ogives de plus en plus étirées en allant vers le bas. La fonte de plus en plus marquée vers l’aval va aussi transformer ces ogives qui vont devenir de plus en plus sombres et de plus en plus larges. D’année en année, une nouvelle alternance d’ogives claires et sombres va se former. Ainsi, ces chevrons constituent une datation naturelle de la glace à partir de la chute de séracs.

Formation des bandes de Forbes
Formation des bandes de Forbes

La Mer de Glace : les origines

Que sait-on aujourd’hui des glaciers alpins avant le Quaternaire ? Fort peu de choses en réalité. Cependant, le refroidissement amorcé au Pliocène moyen (3,5 Ma) a sans doute favorisé l’installation des premiers appareils glaciaires dans le massif du Mont-Blanc. C’est ainsi que la Mer de glace primitive s’est installée dans un talweg préexistant, d’origine tectonique et fluviatile. 

Quelle était la situation au Pays du Mont-Blanc et notamment dans le bassin de la Mer de glace pendant le dernier cycle glaciaire ?

Le massif du Mont-Blanc et la Mer de Glace au Pléistocène récent

Les problèmes de reconstitution du dernier maximum glaciaire en zone d’accumulation

Actuellement, le  Massif du Mont Blanc est encore très englacé et présente une surface d’environ 170 km2 répartie à travers 101 glaciers (Vivian, 1979). Cependant, cette configuration était différente lors des périodes froides du Quaternaire, car les glaciers occupaient toutes les vallées et débordaient alors jusque sur les piémonts. Deux complexes morainiques (Penck et Bruckner, 1909) sont reconnus à la périphérie de la chaîne alpine en particulier dans la zone N-W des Alpes, depuis le Sud de Grenoble jusqu’au Nord du Jura, sur environ 400 km (Bourdier, 1962 ; Monjuvent, 1978 ; Campy et Arn, 1991 ; Mandier, 1984 ). Le Complexe des Moraines Externes (CME), dont l’extension est la plus grande vers l’ouest et le nord-ouest, atteint le rebord occidental du Jura et la région lyonnaise, où la glace recouvrait la région de la Dombes entre Bourg-en-Bresse et Lyon. Ces formations sont attribuées aux glaciations du Pléistocène moyen (« Mindel, Riss » s.l.). Puis, en retrait de 10 à 40 km du précédent, on reconnaît le Complexe des Moraines Internes (CMI), attribué à la dernière glaciation (« Würm » s.l.).

Carte paléogéographique des Alpes nord-occidentales au dernier maximum glaciaire du Pléistocène récent ; cadre rouge : région du massif du Mont-Blanc.
Carte paléogéographique des Alpes nord-occidentales au dernier maximum glaciaire du Pléistocène récent ; cadre rouge : région du massif du Mont-Blanc.

A partir de ce cadre paléogéographique, il est possible de reconstituer les limites occupées par les glaciers durant les dernières périodes glaciaires. Globalement, les méthodes utilisées sont essentiellement basées sur une cartographie des dépôts glaciaires. En effet, les moraines frontales déposées correspondent à l’extension maximale. Dans de rares cas, la présence de moraines latérales préservées sur les flancs des grandes vallées – i.e. vallée de l’Isère (Monjuvent, 1978, Coutterand, 2010) – permettent une reconstitution paléogéographique du profil topographique de quelques grands appareils. Ces méthodes, appliquées aux zones d’ablation, ne précisent pas ou peu l’épaisseur de glace dans les zones d’accumulation. Afin de donner une estimation de ces épaisseurs, Monjuvent (1978) a utilisé un modèle issu d’une équation d’équilibre de la glace (Nye, 1951). Cependant, cette méthode est difficilement applicable aux grands glaciers de vallées, ces derniers étant fortement influencés par  la  topographie  (succession de verrous, ombilics…) et la dynamique des confluences. Ainsi, afin de définir au mieux l’épaisseur de glace dans les zones d’accumulation, une autre méthode basée sur la cartographie et l’interprétation des formes d’érosion glaciaire a été appliquée avec succès dans les Alpes suisses et le massif du Mont-Blanc (Penck et Bruckner, 1909 ; Florineth, 1998 ; Kelly et al, 2004 ; Coutterand et Buoncristiani, 2006). La reconstitution de la surface d’englacement maximale atteinte sur la région du massif du Mont-Blanc s’attache tout particulièrement au bassin de la Mer de Glace.

Cadre géologique, implications géomorphologiques

Le massif du Mont-Blanc est majoritairement constitué de granites, mais également de roches métamorphiques. Le granite du Mont-Blanc se caractérise par une texture grenue porphyroïde. Les  caractéristiques lithologiques des roches endogènes du massif du MB ont fortement influencé l’héritage géomorphologique du dernier maximum glaciaire (DMG). En effet, ces roches résistantes ont permis une bonne préservation du modelé d’érosion glaciaire.

Méthode de reconstitution et âge de la surface glaciaire

La méthode utilisée consiste à cartographier les formes d’érosion glaciaire et à interpréter les processus responsables de leur mise en œuvre. L’érosion glaciaire représente la somme de plusieurs processus (abrasion, délogement, eaux de fontes) ; leurs jeux conjoints vont permettre de définir un modelé d’érosion glaciaire caractéristique (Agassiz, 1838). Néanmoins, la morphologie et la préservation de ce modelé d’érosion glaciaire dépendent de la lithologie du substrat, de sa structure, mais également de la nature des processus d’altération. Dans de nombreux cas, ces morphologies d’érosion glaciaire sont bien caractéristiques et facilement interprétables. Suivant l’échelle considérée, on distinguera les micros-formes d’érosion : stries, cannelures…, (Laverdière et Guimont, 1980) et les mégas-formes d’érosion : vallées en auge, roches moutonnées, « trimlines »…, (Benn et Evans, 1998).

Sur la zone étudiée, la surface maximale d’englacement est mal documentée par les micro-formes car elles disparaissent très rapidement par altération et érosion mécanique (Campy et Macaire, 2003). Ainsi, le modelé glaciaire caractérisant le mieux  la surface recherchée sera constitué par des mégas-formes telles que les roches moutonnées.

L’action érosive d’un glacier (tempéré, i. e. au point de fusion) imprime un modelé caractéristique qui se différencie de celui des zones non recouvertes par la glace. Afin de définir la surface maximale d’englacement, on utilisera la limite supérieure de ce modelé glaciaire. Cette limite appelée « trimline », initialement identifiée sous le vocable  de « schliffgrenze » par Penck et Bruckner (1909), a été redéfinie par Thorp (1981) comme la zone de transition entre la partie inférieure d’un versant affectée par les processus d’érosion glaciaire et la partie supérieure de ce versant présentant une forte rugosité (crêtes acérées et couloirs d’éboulisation) soumise aux processus d’érosion atmosphérique (cryoclastie, thermoclastie…) . Souvent bien visible dans le paysage, elle s’étend sur une dénivelée de quelques dizaines de mètres. Cette limite s’exprime de façon très nette sur les roches endogènes du bassin de la Mer de Glace.

 

 

Versant est des Aiguilles de Chamonix (Tête de Trélaporte). 
Versant est des Aiguilles de Chamonix (Tête de Trélaporte). 
Différence de modelé illustrant les deux processus d’érosion                                                                   1 – atmosphérique (cryoclastie) ;        2 – processus d’érosion glaciaire (roches moutonnées).

 

 

L’Age des « trimlines »

La morphogenèse d’une chaîne de montagnes résulte principalement de l’action conjointe d’un ensemble de processus d’érosion mécanique et chimique. On observe majoritairement des processus liés à la décompression post-glaciaire où les versants vont subir un rééquilibrage dû à la disparition de la glace. Des phénomènes de cryoclastie et thermoclastie des versants entrent également en jeu.

Les trimlines ainsi cartographiées montrent toutes un modelé identique, mais également une très bonne préservation des formes d’érosion glaciaire contrastant avec les formes d’érosion périglaciaire.

A partir des données de terrain et des différents travaux, une approche quantitative de des processus d’altération du modelé glaciaire sur le massif du MB peut être proposée : soit une valeur minimale de 4 mm/ka (Coutterand et Buoncristiani, 2006). Cependant, l’altitude, l’orientation des versants et la couverture nivale sont des paramètres agissant directement sur les valeurs d’érosion ; ainsi certains auteurs proposent des valeurs moyennes de 10 mm / ka (Press et Siever, 1986 ; Einsele G., 1992 ; Bierman et al., 1995). En utilisant cette valeur, une ablation moyenne minimale du modelé glaciaire de 0,25 m est proposée depuis le stade isotopique 2 (MIS 2, ~ 25 000 BP), puis de 0,60 m depuis le MIS 4, ~ 60 000 BP) et finalement de 1,70 m depuis le MIS 6 (Pléniglaciaire ~ 170 000 BP). Ces différentes approches soulignent la rapidité de l’altération du modelé d’origine glaciaire.

Un autre argument permettant d’estimer l’âge des trimlines est d’ordre paléogéographique. La cartographie des dépôts révèle que les extensions glaciaires sur le piémont du complexe Rhône-Arve-Isère ont été voisines pour les trois derniers épisodes glaciaires (Mandier, 1984 ; Monjuvent, 1978). En effet, une distance d’environ 10 à 15 kilomètres sépare les fronts morainiques des MIS 4 et  MIS 6 (Mandier, 1984), attribués respectivement à la dernière et à l’avant-dernière glaciation. Compte tenu de cette proximité, les surfaces des glaciers des trois derniers stades isotopiques froids présentaient des altitudes similaires dans les zones amont, à quelques mètres ou dizaines de mètres près (Lliboutry, 1965 ; Monjuvent, 1978). Par conséquent, les mêmes surfaces d’érosion ont été reprises par les glaciers du Pléistocène récent et moyen (MIS 2, 4, et 6).

Le croisement de ces deux approches permet d’attribuer un âge récent à la formation des trimlines ; contemporain du DMG (Florineth et Schüchter, 1998 ; Coutterand et Buoncristiani, 2006).

Héritage géomorphologique, implications paléogéographiques dans le massif du Mont-Blanc

La cartographie des trimlines, correspondant aux confluences des paléo-glaciers issus du massif du Mont-Blanc avec le glacier principal de la vallée de l’Arve, permet de définir les altitudes de la surface du glacier occupant la vallée de Chamonix (Vallot, 1924). La diffluence des Glaciers du Tour et d’Argentière par les Cols des Montets, des Posettes et de Balme a été postulée par de nombreux auteurs (De Martonne, 1931; Corbin et Oulianof, 1929 et 1931, Kelly et al., 2004 ; Coutterand et Buoncristiani, 2005). Elle est confirmée par la présence de stries au sommet de la montagne des Posettes (2200 m). Ces deux appareils alimentaient alors le Glacier du Rhône par les Vallées de l’Eau Noire et du Trient dès que leur surface dépassait 1600 m d’altitude sur les flancs de la vallée de l’Arve. L’interprétation est reprise par De Martonne (1931), qui, sans doute influencé par l’axe d’écoulement de la Mer de Glace, envisage également la diffluence d’une partie de ce vaste bassin glaciaire vers le glacier du Rhône.

Reconstitution paléogéographique

La cartographie de toutes les trimlines du massif du Mont-Blanc a permis de réaliser une base de données de 72 points documentant la paléo-surface glaciaire. Puis, à partir de cette base de données et en utilisant une méthode d’interpolation (type « krigeage »), la paléo-surface est reconstituée et géoréférencée. Enfin, à l’aide d’un traitement sous Système d’Information Géographique, un croisement entre la topographie actuelle (STRM 90) et la paléo-surface würmienne a été réalisé afin d’obtenir une reconstitution paléogéographique de la zone étudiée.

Cette reconstitution souligne une surface des glaciers dépassant souvent l’altitude de 2400 m dans la périphérie du massif du Mont-Blanc et permettant aux écoulements de s’affranchir des contraintes de la topographie. Cinq principales zones d’accumulation sont mises en évidence : la haute vallée de l’Arve (altitude 2400 m), le haut Val Montjoie, (altitude 2400 m), le haut Val Ferret italien (altitude 2800 m), le haut Val Veni, (altitude 2850 m), (Porter S.C. & Orombelli G., 1982) et la haute Vallée des Glaciers, (altitude 2800 m). Dans le bassin de la Mer de Glace, l’altitude atteinte par les processus d’érosion glaciaire est bien documentée par les trimlines cartographiées en rive droite et en rive gauche :

– 2700 m à la Tête du Couvercle,

– 2600 m à la Tête de Trélaporte,

– 2500 m aux Frêtes des Charmoz.

 

 

Ces altitudes représentent une surface minimale à laquelle il faut ajouter une certaine épaisseur de glace et de névé d’environ 100 m (Beaudevin, 2001). Une reconstitution de la surface Pléniglaciaire est proposée : depuis l’altitude de 3000 m au niveau des séracs du Géant (fig. 5), la surface du glacier atteignait 2750 m au niveau de la confluence avec le glacier de Leschaud, 2650 – 2700 m sur la Tête de Trélaporte, 2450 – 2500 m au débouché du flux glaciaire dans la vallée de Chamonix. De ce fait, deux diffluences du glacier par les cols Cornu et du Brévent peuvent être envisagées (Coutterand, 2010).

 

Régime thermique de la Mer de Glace au LGM

Une réflexion menée avec des glaciologues du LGGE (non publié) envisage la présence de glaciers froids sur les hauts-reliefs alpins au LGM. En effet, considérant les valeurs d’abaissement des températures (Guiot, 1990 ; Pons et al., 1992) et l’altitude moyenne de la ligne d’équilibre glaciaire (LEG) au DMG de 1300 m (Coutterand, 2010), le régime thermique des glaciers était de type froid dans la partie centrale des zones d’accumulation. C’est notamment le cas aujourd’hui au-dessus de 4000 m. Dans cette hypothèse, les glaciers étaient de type froid donc collés au substrat au-dessus de 2300 – 2500 m d’altitude. Cependant, la morphogenèse des trimlines est due à l’écoulement de glaciers de type tempéré (glissement du glacier sur le substratum, base à la température de fusion). Deux schémas illustrant l’évolution du régime thermique des glaciers sont ainsi proposés. On peut alors envisager que les trimlines (2450 à 2700 d’altitude dans le basin de la mer de glace) ont été façonnées en périodes anaglaciaires, et plus vraisemblablement en périodes cataglaciaires lors de la remontée des températures et de la LEG.

Au paroxysme du LGM, la Mer de Glace était un glacier froid, non érosif. Ainsi, l’altitude atteinte par la surface du glacier reste très hypothétique ; elle pourrait être bien supérieure à celle des trimlines cartographiées dans la partie supérieure de l’auge glaciaire.

  

(1) : glacier polythermique : en altitude la glace est collée au substratum (T° < 0°C), pas d’érosion des trimlines, Des cisaillements se mettent en place entre la glace mobile du glacier principal (Bennett, 2003) et la glace collée au substrat. Le flux de froid qui  refroidit la masse du glacier (flèches blanches) dépend de la température de l’air et surtout de l'accumulation de la neige en surface. Le flux géothermique s’y oppose (flèches rouges) ; la glace devient tempérée à la base et la fusion apparaît. (2) : évolution en glacier tempéré en fin de période froide avec contact érosif glace/roche, genèse et/ou reprise des trimlines héritées du précédent épisode glaciaire.
(1) : glacier polythermique : en altitude la glace est collée au substratum (T° < 0°C), pas d’érosion des trimlines, Des cisaillements se mettent en place entre la glace mobile du glacier principal (Bennett, 2003) et la glace collée au substrat. Le flux de froid qui  refroidit la masse du glacier (flèches blanches) dépend de la température de l’air et surtout de l’accumulation de la neige en surface. Le flux géothermique s’y oppose (flèches rouges) ; la glace devient tempérée à la base et la fusion apparaît.
(2) : évolution en glacier tempéré en fin de période froide avec contact érosif glace/roche, genèse et/ou reprise des trimlines héritées du précédent épisode glaciaire.

       

La Mer de Glace pendant le Tardiglaciaire

Après le dernier maximum glaciaire, période durant laquelle les glaciers étaient  totalement anastomosés à l’intérieur du massif Alpin, le réseau glaciaire se scinde et les grands appareils s’individualisent dans leurs vallées respectives. Le Tardiglaciaire correspond à une période de fonte progressive entrecoupée de stades de progression et de stationnement des langues glaciaires. Le glacier de la vallée de l’Arve a laissé des traces sous la forme de vallums morainiques parfois volumineux, notamment près de la Roche-sur-Foron, au Fayet et à Chamonix.

Le Tardiglaciaire ancien

Il y a 16 000 ans, le glacier de l’Arve stationne au Fayet, (corrélé avec le stade de Gschnitz des Alpes orientales) puis, la langue glaciaire se retire dans la vallée de Chamonix vers 14 500 BP. C’est au niveau du verrou cristallin des Houches que l’on rencontre un stade de retrait. La moraine du Clot (1120 m),  située au-dessus de la gare SNCF des Houches, témoigne de l’extension du glacier à ce stade (Dorthe-Monachon, 1986). La vallée de Chamonix présente encore l’aspect d’un glacier de vallée ; tous les appareils du massif du Mont-Blanc sont jointifs. L’analyse pétrographique de la moraine du Clot montre une importante accumulation de granite du Mont Blanc et l’absence de matériaux provenant des Aiguilles Rouges. Les appareils de la rive droite étaient donc déconnectés du glacier dont le flux principal était constitué par les apports de la Mer de Glace.

Le Dryas récent, dernier sursaut de la glaciation

Il y a 14 000 ans, les interstades chauds du Bølling et de l’Allerød portent un coup fatal aux derniers glaciers würmiens. Ils sont suivis, il y a 12 000 ans, d’un net et brutal refroidissement, le Dryas récent, qui sert de limite aux temps quaternaires. Il tire son nom d’une plante de la famille des Rosacées, Dryas octopetala, caractéristique de la toundra.

Evolution des températures estivales et de la limite supérieure des forêts (timberline) depuis 14 000 ans
Evolution des températures estivales et de la limite supérieure des forêts (timberline) depuis 14 000 ans

Ce refroidissement brutal, l’Egesen dans les Alpes orientales, fait progresser les langues glaciaires de plusieurs kilomètres ; toutes les hautes vallées en portent les traces. Les moraines frontales et latéro-frontales de cette période sont généralement situées quelques kilomètres en aval des moraines du Petit Âge glaciaire.

Dans la vallée de Chamonix, le front de la Mer de Glace pénètre jusqu’au centre de Chamonix. En amont, le glacier d’Argentière, rejoignant le glacier des Bois, dépose les reliefs glacio-lacustres et morainiques de la Joux et du Lavancher, alors que le glacier du Tour édifie les moraines du Planet et de Tré-le-champ.

Le « Stade de Chamonix » de la Mer de Glace

Il a été défini initialement comme « Stade de Chamonix » par Mayr (1969). Ce complexe est matérialisé par deux moraines frontales et latéro-frontales :

La moraine du Casino de Chamonix : dissimulée en plein centre-ville de Chamonix (parc du Casino), elle se caractérise comme un lambeau de moraine frontale édifiée par la Mer de Glace. Haut de 5 à 6 mètres sur sa face interne ; l’ensemble culmine à 1040 mètres. Ce relief représente la partie sommitale de la moraine frontale qui est en grande partie enfouie dans le comblement glacio-lacustre puis lacustre du paléo-lac de l’ombilic de Chamonix.

La moraine des Tissourds correspond au maximum d’extension de cette période. Située environ 800 m en aval de la moraine frontale du Casino, en rive gauche de l’Arve, elle est en partie dissimulée par les dépôts d’un important cône d’avalanche issu du Plan de l’Aiguille (Lucena, 1998).

Le relief du Lavancher correspond à la moraine latérale droite de la Mer de Glace peu avant sa confluence avec le glacier d’Argentière.

Les moraines latérales du complexe de Chamonix ne sont plus visibles actuellement en rive droite (Mayr, 1969 ; Dorthe-Monachon, 1986 ; Wetter, 1987) du fait de l’urbanisation. Elles se localisaient au sud du quartier des Plans où Conard (1931) signale « deux petites crêtes parallèles ».

En rive gauche, on observe, au niveau du Biollay, trois cordons distincts aux altitudes respectives de 1091 m, 1062 m et 1057 m (Lucena, 1998).

Dans le talweg encore occupé par le glacier, quelques indices géomorphologiques peuvent être mentionnés. Le plus en amont correspond à un cordon morainique situé au pied de l’escarpement de la Tête de Trélaporte (2200 m), souligné par le chemin du refuge d’Envers des Aiguilles. En aval, en rive gauche, le Grand hôtel du Montenvers est construit sur une moraine latérale à volumineux blocs erratiques de granite ; il est prolongé vers 1800 m d’altitude par deux cordons morainiques incurvés vers Chamonix. La carte paléogéographique restitue au mieux le contour du glacier. La récurrence la Mer de glace au Dryas récent s’est déroulée en milieu lacustre, le complexe glaciaire les Bossons / Taconnaz/ scindant le paléolac en deux parties.

 

La Mer de Glace pendant Les temps post-glaciaires, l’Holocène

La période holocène, qui a débuté vers 11 700 Cal BP, a été marquée par une variabilité climatique faible ; l’amplitude thermique n’y aurait en effet pas dépassé 2°C. Suite à une déglaciation très rapide, les glaciers acquièrent une taille « moderne » dès le début de l’Holocène. La découverte de bois subfossiles aux fronts de glaciers des Alpes centrales et orientales actuellement en retrait montre en effet que des arbres parfois centenaires avaient colonisé à cette époque des espaces qui ne sont aujourd’hui déglacés que depuis quelques années, voire encore sous la glace. Les retraits paroxysmaux ont eu lieu lors de l’optimum climatique holocène (entre 7 500 et 6 500 cal BP), période la plus chaude de ces   10 000 dernières années (Nicolussi et Patzelt, 2001 ; Schlüchter et Joerin, 2004 ; Joerin et al, 2008). Dans la dernière partie de l’Holocène, en réponse notamment à la baisse de l’activité solaire, les épisodes climatiques froids se sont multipliés et les fronts des glaciers ont réavancé. Cette période dite Néo-glaciaire commence dans les Alpes entre 4 000 et 3 000 ans Cal BP (Ivy-Ochs et al, 2009) et comprend plusieurs épisodes froids, dont le plus récent, le Petit Âge Glaciaire (PAG).

A la faveur de la décrue glaciaire des dernières décennies, de nombreux débris de bois ainsi que des échantillons de tourbe ont été  découverts dans la marge proglaciaire immédiate. Ces découvertes suggèrent que des tourbières et des forêts ont prospéré jadis à l’emplacement des glaciers actuels, ce qui n’est possible que s’ils se sont retirés en amont…. Les moraines argileuses dans lesquelles sont le plus souvent enchâssés les troncs d’arbres constituent des milieux anaérobies remarquables où la décomposition est partiellement ou totalement stoppée.

Ainsi, dans la haute vallée de l’Arve, entre le village du Tour et l’alpage de Charamillon, une souche de mélèze comptant 650 cernes, découverte à 1500 m d’altitude, près des sources de l’Arve, accuse un âge de près de 7000 ans, époque où prospérait en ce lieu une forêt. Il en est de même en Valais, sur la marge proglaciaire du glacier du Mont-Miné, où des troncs atteignant jusqu’à 1 m de diamètre, vieux de quelque 6800 ans, ont été rejetés récemment.

L’ensemble des résultats de datation met en évidence pas moins de dix périodes pendant lesquelles les glaciers étaient moins étendus que maintenant. La phase de retrait maximale aurait eu lieu entre 9000 et 6800 ans avant aujourd’hui, période qui constituerait donc l’optimum climatique holocène (s.s.) ; de nombreux glaciers alpins avaient alors disparu. On note un autre optimum climatique à l’âge du Bronze, vers 1200 av. J.-C. Le suivant se situe au début de notre ère, il  correspond à la période romaine. Pendant ces périodes, « les langues glaciaires s’arrêtaient à une altitude supérieure d’au moins trois cents mètres à l’actuelle » (Schlüchter et Joerin, 2004).

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Le « stade des Praz » de la Mer de Glace

Ce stade a été suggéré par Mayr (1969). Quelques témoins géomorphologiques permettent de reconstituer le contour du glacier. On identifie en rive gauche le replat d’origine morainique à proximité du fameux bloc erratique de la Pierre d’Orthaz. Au « fond des Tines » un  » bourrage » morainique à  volumineux blocs erratiques constitue un relief incisé par l’Arve.

Du point de vue chronologique, cet épisode pourrait appartenir à « l’évènement 8200 » identifié et daté dans les Alpes orientales (Kerschner, Ivy-Ochs et al. 2006, 2008). Ce stade pourrait être contemporain du stade de la moraine des Iles du Glacier d’Argentière (Lucena, 1998).

Paléogéographie de l’extension de la Mer de Glace au stade des Praz.
Paléogéographie de l’extension de la Mer de Glace au stade des Praz.

Reconstitution des fluctuations néo-glaciaires de la Mer de Glace

Les moraines latérales bâties lors d’avancées glaciaires successives, qui tapissent les versants de la Mer de Glace,  sont les secteurs les plus propices à l’étude des fluctuations glaciaires holocènes ; elles atteignent 150 à 200 m de hauteur. Elles permettent d’étudier la période antérieure au PAG car la mise au jour du flanc interne des moraines latérales lors des retraits glaciaires révèle des niveaux qui contiennent des débris organiques.

Ces niveaux organiques résultent de la colonisation végétale de la crête de la moraine lors des phases de retrait glaciaire, avec formation d’un sol, combinée à l’accumulation d‘arbres morts. La datation des troncs conservés dans ces horizons organiques renseigne sur l’âge et la durée des phases de retrait glaciaire.

La méthode la plus anciennement utilisée est la datation au Carbone 14 (14C), mais sa précision (+/- 100 ans) est trop faible pour établir des chronologies à haute résolution. Depuis une trentaine d’années, la dendrochronologie, méthode plus performante, a été appliquée à l’étude des fluctuations glaciaires (Holzhauser, 1984 ; Luckman, 1998 ; Le Roy et al, 2009).

A la suite des travaux précurseurs du Zurichois Wolfgang Wetter (Wetter, 1987), les travaux récents de Melaine Leroy apportent des éléments nouveaux sur les fluctuations de la Mer de Glace pour la période néo-glaciaire. En effet, l’étude dendroglaciologique est basée sur l’échantillonnage des bois subfossiles présents dans la moraine latérale droite de la Mer de Glace. Les bois récoltés (presque exclusivement des pins Cembro) vont de simples fragments à des troncs de plusieurs mètres de long.

Moraine latérale droite de la Mer de Glace. A gauche : le sol médiéval localisé 10-12 m sous la crête de la moraine. A droite : prélèvement d’un tronc de pin cembro.
Moraine latérale droite de la Mer de Glace. A gauche : le sol médiéval localisé 10-12 m sous la crête de la moraine. A droite : prélèvement d’un tronc de pin cembro.

Les bois les plus anciens retrouvés à la Mer de Glace sont morts il y a plus de 3 600 ans. De ce fait, la première avancée glaciaire dont on trouve la trace dans la moraine latérale droite s’est produite il y a environ  3 500 ans.

Sept avancées glaciaires majeures ont pu être identifiées durant les 4 000 dernières années : après 3500 BP, vers 2700 BP, vers 1 500 BP, et dans la seconde moitié du 14 e siècle, Elles sont suivies par les trois maxima historiques de la seconde moitié du PAG : 1644, 1825 et 1852 (cf. § 3).

Les fragments de bois échantillonnés dans un lit tourbeux, 11 – 12 m sous la crête de la moraine latérale droite, ont donné un âge maximum de 1352 BP pour l’avancée qui a enfoui le tronc. Cette première avancée de la Mer de Glace au PAG a donc eu lieu dans la seconde moitié du 14e siècle et correspond à l’un des principaux maxima du PAG et de l’Holocène.

Ces résultats sont concordants avec les chronologies glaciaires établies dans le reste des Alpes pour la seconde moitié de l’Holocène, à savoir des épisodes glaciaires d’amplitude et de fréquence croissantes qui culminent lors de trois avancées paroxysmales du PAG (Nicolussi et Patzelt, 2001 ; Holzhauser et al, 2005).

Où se situait le front de la Mer de Glace pendant les optimums climatiques de l’Holocène ?  Une approche climatique et glaciologique a été menée ; elle prend en considération les travaux des chercheurs de l’Université de Berne (Schlüchter et Joerin, 2004) qui font état des découvertes de la région du glacier de l’Aar. Elles témoignent d’un climat continental (conditions plus sèches que celles qui y règnent actuellement), confirmées par la présence de certaines espèces de coléoptères dans les échantillons de tourbe. Elle tient compte également des travaux du laboratoire EDYTEM (Leroy et al. 2009) et de la courbe d’évolution des paléo-températures  et des fluctuations de la timberline durant l’Holocène (Magny, 2002). Ainsi, il est possible de suggérer une position de la langue terminale de la Mer de Glace à l’Age du Bronze.

Reconstitution de la langue terminale de la Mer de Glace à l’Âge du Bronze. La langue glaciaire aurait été en retrait de près de 2 km par rapport au front de 2011 (pointillés bleus).
Reconstitution de la langue terminale de la Mer de Glace à l’Âge du Bronze. La langue glaciaire aurait été en retrait de près de 2 km par rapport au front de 2011 (pointillés bleus).

Les différentes positions des niveaux organiques et les bois datés dans la moraine latérale droite de la mer de Glace suggèrent qu’au cours de l’Holocène l’épaisseur du glacier face au Montenvers n’a jamais atteint le niveau du PAG. A chaque crue de la période néo-glaciaire, la surface du glacier stationnait en dessous du niveau de la moraine de 1890 (située 45 m en contrebas de la moraine de 1825 -1852). Lors de la crue de 1890,  la langue terminale ressortait à peine des gorges de l’Arveyron, ce qui suggère qu’antérieurement à la période romaine, la langue terminale du glacier n’a jamais atteint la Côte du Piget.

Il est traditionnellement admis que la Côte du Piget correspond à une puissante accumulation morainique déposée par la mer de Glace au cours des pulsations holocènes. En réalité, ce relief est principalement constitué d’une épine rocheuse (calcaire du Lias appartenant à la zone pincée de Chamonix) qui affleure jusqu’à  1150 m d’altitude au-dessus du village des Bois.

La couverture morainique, dont l’épaisseur estimée varie de 5 à 25 m, représente une position vraiment paroxysmale du glacier des Bois, donc principalement d’âge PAG.

Force est de constater que l’image traditionnelle d’une chaîne alpine continuellement englacée depuis la fin de la dernière glaciation est à relativiser. Les premières études des glaciers au cours de la crue du Petit Âge Glaciaire a alimenté une image traditionnelle de glaciers plus vastes qu’aujourd’hui. Mais, selon les chercheurs de l’Université de Berne (Schlüchter, 2009) « les glaciers alpins ont été moins étendus que maintenant durant plus de la moitié de ces dix derniers millénaires ! ».

La Mer de Glace pendant Le petit Âge Glaciaire

Le toponyme de « Petit Âge glaciaire », adopté pour un épisode climatique récent et d’abord étudié dans les Alpes, est pourtant né en Amérique. Au début du xxe siècle, le topographe américain d’origine hollandaise François Émile Matthes (1874-1948), de l’U.S. Geological Survey, étudia en profondeur le relief glaciaire de la Sierra Nevada, qui a creusé la splendide vallée du Yosemite. Matthes s’intéressa aux petits glaciers encore existants dans la haute Sierra. En contrebas de ceux-ci, il identifia une série régulière de moraines bien conservées, et manifestement récentes. Il baptisa cet épisode Little Ice Age, « Petit Âge glaciaire » que les glaciologues abrègent en PAG. Mais c’est pour cette dernière extension glaciaire, de la fin du xvie siècle au milieu du xixe siècle, qu’Emmanuel Le Roy Ladurie a adopté en 1967 l’expression « Petit Âge glaciaire ».

A la mer de Glace, aucun indice géomorphologique ne témoigne de la première grande crue du début du PAG. Cependant, l’identification d’un sol et sa datation (12e – 14e siècle), réalisés par Melaine le Roy (laboratoire EDYTEM), démontre l’exhaussement d’une douzaine de mètres des moraines latérales du glacier depuis l’optimum médiéval.

Quand aux grandes crues du glacier des Bois du début XVIIe siècle, elles sont bien documentées par les archives locales. À ce titre, l’évolution historique et la disparition des hameaux du Châtelard et de Bonanay sont pleines d’enseignements.

Destruction des hameaux du Châtelard et de Bonanay

A l’époque de la mise en place des deux hameaux, le glacier devait être suffisamment en retrait pour ne pas constituer une menace ; il a pu avancer plus tard jusqu’à leur proximité sans leur causer de dommages. Selon Le Roy Ladurie (1967) qui a  recueilli de nombreuses archives, le Châtelard existe probablement depuis 1289 et est attesté depuis 1384.

Pour la période allant de 1384 à 1640, l’existence du Châtelard est confirmée, le rendement de sa dîme ayant toujours été le plus important. En 1570, on a encore acheté des propriétés au Châtelard : les acheteurs ne semblent pas avoir été inquiétés par la proximité du glacier, ce qui suggère une activité glaciaire plutôt faible. La situation s’est rapidement détériorée vers 1600 : beaucoup de dégâts sont signalés pour les terres cultivées. S’appuyant sur un rapport de Nicolas de Crans (commissaire de la Chambre des Comptes de Savoie), Le Roy Ladurie démontre le début d’une importante crue glaciaire en 1600, qui culmine en 1610. Laissons parler à ce sujet Nicolas de Crans, commissaire député de la Chambre des Comptes, enquêteur à Ghamonix, sur plaintes des habitants, en 1610. Evoquant les «exploits» du glacier (probablement ceux de 1600 – 1601), il écrit: « .Vous avonsrecogneu les ruynés que tes glassiers et rivière «Arve ont faict au terroir dud Chamonyx en plusieurs endroictz mesme le glacier appelé des Bois (mer de Glace) quapporte eîfroig et espovente-ment aux regardants, lequel a ruyné une bonne partie du terroir et village entièrement du Chastellard, et emporté tout à faict ung aultre petit village appelé Bonnenuict ».Jusqu’en 1600, il y a toujours des signes de vie au Châtelard, mais la première catastrophe s’y produit probablement en 1601, avec la destruction partielle du hameau par l’avancée du glacier.

Lors d’un second voyage dans la vallée de Chamonix, Nicolas de Crans visite à nouveau le Châtelard en 1616 et en découvre les ruines : « seules six maisons délaissées par leurs propriétaires étaient encore debout, menacées par le glacier…dans lesquelles des habitants vivaient encore dans une grande pauvreté ». Il mentionne « deux lobes du glacier », ce qui signifie un débordement partiel sur la Côte du Piget.

Le hameau de Bonanay, installé en 1458, a connu une destruction similaire. Ayant atteint une douzaine de maisons, il semblait en sécurité jusqu’à l’avancée du glacier des Bois qui déborde la Côte du Piget en 1600. Selon le Roy Ladurie, en 1591, personne ne semble s’inquiéter de la présence du glacier qui domine déjà la Côte du Piget. Le village disparaît totalement en 1643 ; seul subsiste aujourd’hui dans le cadastre le toponyme « forêt de Bonanay ».

La forte crue du glacier des Bois signalée d’août 1641 au printemps 1642 (Le Roy Ladurie, 1967) fait craindre qu’elle ne barre l’Arve et provoque des inondations désastreuses.

Ainsi, vers 1640, les paysans de Chamonix implorent l’aide des moines de la collégiale de Sallanches, dont ils dépendent :  » Nous Jean Deffoug, chanoine ouvrier de l’insigne collégiale de Saint-Jacques de Sallanches, certifions avoir fait faire diverses processions pour faire des bénédictions sur les glaciers, sur les prières qui nous en ont été faites par les communiers dudit Chamonix qui se doutent qu’il n’y ait des esprits aux dits glaciers, lesquels avançant par succession de temps contre les terres ont gâté des maisons et plusieurs possessions« .

En 1643, les Chamoniards montent en procession au glacier des Bois qui vient de détruire le hameau du Châtelard. L’année suivante, le 29 mai 1644, l’évêque de Genève Charles-Auguste de Sales, qui avait été alarmé par deux Chamoniards, organise en juin 1644 une procession d’environ 300 personnes. Après la bénédiction du glacier, la menace s’est semble-t-il éloignée peu à peu, le glacier reculant jusqu’en 1663 (Mougin, 1912).

Localisation du Châtelard et de Bonanay

Un travail d’observation menée durant l’été 2011 a tenté de localiser au mieux les hameaux du Châtelard et de Bonanay. En s’appuyant sur les travaux antérieurs (Mougin, 1912 ; Rabot, 1920 ; Le Roy Ladurie, 1967) et sur des levées de terrain, les positions des villages détruits peuvent-être avancées :

Le village du Châtelard (du latin « castellare, castellarium ») dont la toponymie évoque un lieu retranché, perché sur une colline, se situait à l’extrémité sud de la Côte du Piget (entre les cotes 1085 m et 1160 m). Quant au hameau de Bonanay, il s’étirait à l’intérieur des cordons morainiques (Nord) limitant le lobe des Tines (entre les cotes 1085 m et 1160 m (voir carte géomorphologique). En bordure externe de la moraine (entre les cotes 1100 m et 1160 m) quelques replats et murets sont encore visibles malgré l’abondance de la couverture végétale.

Les moraines latérales de 1644, très bien préservées vers les Tines, sont localement soulignées par la présence d’un des plus gros blocs erratiques de la région : la Pierre de l’Isbolly (Forbes, 1842 ; pierre n°2 d’Alphonse Favre) qui marque la bordure de la langue glaciaire. Il n’en est pas de même au village des Bois, la seule ride morainique frontale préservée correspondrait à un large replat situé 50 m en aval du bloc de 1825 .

Les données géomorphologiques croisées avec les archives locales confirment que la crue de 1643 – 1644 correspond à la plus grande extension de la mer de Glace durant l’Holocène. En effet, les villages du Châtelard et de Bonanay qui existaient déjà lors de la première grande crue du XIVe siècle ne semblent pas avoir subi un débordement du glacier des Bois.

    

                                                   

La fin du Petit Âge Glaciaire

Après les épisodes dramatiques du XVIIe siècle, un important recul du front du glacier des Bois est confirmé par le cadastre sarde (réalisé entre 1728 et 1738) jusque dans les années 1760. Après cette date, la mer de Glace est de nouveau en crue ; l’extension paroxysmale est atteinte entre 1822 et 1825. L’avancée du glacier des Bois est bien matérialisée par des moraines frontales du village éponyme. Le célèbre bloc erratique sur lequel la date de 1825 est gravée marque la position extrême du glacier.

Lithographie représentant le glacier des Bois en 1822 par Dubois.
Lithographie représentant le glacier des Bois en 1822 par Dubois.

Un lent recul du glacier va débuter. Mais à partir de 1840, le glacier des Bois progresse à nouveau ; il atteint une nouvelle position extrême en 1852. Selon Joseph Vallot :  » Vers 1850-1851, la Mer de Glace arrivait environ à 50 mètres du village des Bois… Le glacier remplissait la moraine du Piget jusqu’en haut et il jetait des blocs au milieu de cette côte, du côté des Tines. En somme, en 1855, le glacier remplissait presque complètement ses moraines et était presque aussi long et élevé qu’en 1825 « . C’est à partir de 1870 qu’intervient le grand recul du glacier des Bois, la glace se retire dans la gorge de l’Arveyron et disparaît aux yeux des Chamoniards après 1900).

Le glacier des Bois a disparu dès la fin du XIXe siècle. Ce glacier, avec son célèbre « portail » qui tenait lieu de source à l’Arveyron (2 m3 à l’étiage, 40 m3 en grandes eaux), fascina tous les visiteurs, peintres et photographes.

À la fin du XIXe siècle, selon Le Roy Ladurie, « la Mer de Glace, rabougrie, se terminait par une simple langue étiolée, étroite, rampant sur le roc des Mottets ». Paul Payot rapporte qu’elle n’était plus visible depuis 1873, mais un cliché photographique de M. Couttet, reproduit dans les Études glaciologiques de 1912, montre qu’en 1881 le glacier transgresse encore de façon très marquée le verrou constitué par les rochers des Mottets. En 1900, d’après un cliché de Georges Tairraz, le glacier est encore visible bien que l’on assiste déjà aux premières manifestations de son encaissement dans la gorge du Chapeau.

Après une  courte crue en 1890, la langue glaciaire perd plus de 800 mètres en une quinzaine d’années (Mougin, 1912). Ce recul, stoppé par la crue de 1920, se réenclenchera lors des années chaudes et sèches de la période 1940-1960

 

La langue terminale de la Mer de Glace confinée dans la gorge de l’Arveyron vers 1900.
La langue terminale de la Mer de Glace confinée dans la gorge de l’Arveyron vers 1900.

 

La Mer de Glace a perdu au total 2,6 km de longueur depuis son maximum d’extension de 1851, époque où le glacier des Bois atteignait le village éponyme. Cette récession se traduit aussi par une perte d’épaisseur de 190 m en cent cinquante ans sous la gare du Montenvers. Malgré tout, cette décrue a été interrompue par quelques avancées au XXe siècle, notamment entre 1970 et 1993. Depuis 1990 le recul du glacier n’a fait que s’accélérer (750 m entre 1990 et 2016 et une perte d’épaisseur de 75 m sous la gare du Montenvers). Un premier lac est apparu en 1998 à l’intérieur des moraines déposées par le glacier en 1993, puis, le glacier se retirant encore, un deuxième lac s’est formé en 2001 : le contact de l’eau avec la glace a accéléré encore le recul du glacier.

Aujourd’hui, la situation de la Mer de glace est proche l’étiage de la période médiévale, mais au rythme du retrait,  l’état du glacier de l’âge du Bronze ou de la période romaine sera bientôt atteint !

Trois coupes transversales du glacier (LGGE, 2010)
Trois coupes transversales du glacier (LGGE, 2010)

Quel futur pour la Mer de Glace (par Christian Vincent du LGGE) ?

Le LGGE a réalisé en 2008 une étude pour EDF sur l’évolution de la langue de la Mer de Glace au cours des vingt prochaines années. Cette étude avait pour but de choisir la nouvelle implantation du captage de l’eau sous-glaciaire afin qu’il perdure plusieurs décennies. Cette étude a été faite sur la base des nombreuses observations collectées depuis 1960 et au moyen de calculs numériques simulant le comportement du glacier dans le temps. Ces outils permettent de calculer les variations d’épaisseur et de longueur en fonction des conditions climatiques. Les simulations de fluctuations de langue de la Mer de Glace obtenues pour les vingt prochaines années dépendent des scénarios retenus pour les bilans de masse de surface. Deux scénarios extrêmes ont été choisis: l’un dit optimiste suppose que les bilans de masse de surface seront identiques à ceux des deux dernières décennies ; l’autre, dit pessimiste, suppose que les bilans de masse de surface seront inférieurs de 1 mètre d’équivalent eau par rapport aux bilans observés au cours des vingt dernières années (ce qui suppose un réchauffement moyen estival d’environ 0.6 °C par rapport à la période 1980-2009). Selon ces deux scénarios, le glacier devrait reculer dans une ‘fourchette’ de 550 m à 1000 m par rapport à la position du front de 2009, pour se situer en 2030 à 770 m (± 220 m) à l’amont de celui-ci – et à proximité de l’emplacement actuel de la grotte de la Mer de Glace. En outre, d’autres calculs et simulations montrent que, à moins d’un refroidissement marqué du climat, le glacier de la Mer de Glace a entamé un recul durable, qui devrait se poursuivre bien au-delà de 2030.

 

Depuis 1988, le retrait de 750 m de la langue glaciaire à libéré des lacs proglaciaires © Pascal Tournaire
Depuis 1988, le retrait de 750 m de la langue glaciaire à libéré des lacs proglaciaires © Pascal Tournaire

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Le Grand glacier d’Aletsch

«Entre la Jungfrau antérieure et postérieure, au midi et au couchant d’icelle se trouvent des gouffres affreux, des abîmes et des crevasses monstrueuses, qui offrent au regard l’un des déserts les plus redoutables, mélange de neige, de glace et de pierre. Entre la Jungfrau et les montagnes de l’Eiger intérieur et les monts du Valais d’autre part, il y a une vallée de glace qui tantôt se fraye un passage étroit, tantôt s’ouvre largement, et qui s’interrompt en plusieurs lieux. Une contrée sauvage et inaccessible. » C’est en ces termes peu engageants que s’exprimait le Zurichois Johan Conrad Fasi en 1768 dans son ouvrage mentionnant le plus vaste complexe glaciaire des Alpes, le Grand Glacier d’Aletsch : « Description exacte et complète, politique et géographique de toute la Confédération helvétique ».

Ce glacier d’Aletsch, tout juste digne à l’époque d’une remarque marginale, est de nos jours devenu une référence en glaciologie. Les raisons en sont diverses : à l’échelle des Alpes, ce glacier éclipse en effet tous ses confrères par son volume, sa surface et sa longueur. Ses énormes masses de glace percent comme un fer de lance le rempart de granite du massif de l’Aar et pénètrent jusqu’au cœur de la haute vallée du Rhône. Notre glacier revêt surtout une importance glaciologique ; ainsi les glaciologues suisses, qui l’ont maintenant étudié depuis plus d’un siècle, sont parvenus à reconstituer ses fluctuations depuis l’Age du Bronze. Durant son histoire bien mouvementée, le glacier a connu huit à dix crues importantes, dont trois l’ont amené à sa phase d’ampleur maximale. L’histoire des hommes est intimement mêlée aux caprices du glacier ; ses crues et décrues rythmant l’économie pastorale locale et inspirant bien souvent des sentiments de crainte.

Aujourd’hui et depuis 2001, la quasi-totalité du massif de l’Aar, par ses caractéristiques géologiques, et bien sûr ses immenses glaciers, dont la palme revient au glacier d’Aletsch, est classée par l’UNESCO au patrimoine de l’humanité.

D’une longueur de 24 km, et d’une superficie de 86,6 km2, le glacier d’Aletsch est le plus grand glacier des Alpes. Son bassin d’alimentation est bordé par des sommets mythiques dépassant quatre mille mètres, tels que la Jungfrau, le Mönch, les Fiescherhorner et l’Aletschorn.

Illustration parfaite du glacier de vallée, c’est une monumentale œuvre d’art glaciaire ; Aletsch est  le glacier des Alpes au superlatif. Son cours principal est alimenté par le Gosser Aletschfirm, le Jungfraufirm, l’Ewigschneefeld  et le Grüneggfirm. Ces puissants « icestream » se réunissent à Koncordiaplatz puis s’écoulent parallèlement, en un vaste fleuve de glace, dessinant un arc immense sur une distance de 15 km.

Alimenté par trois principaux bassins d’accumulations, « firm » en allemand, la vitesse du glacier s’établit à 150 m par an en amont de Konkordiaplatz. Au niveau du rétrécissement de la vallée glaciaire, la sortie de Konkordiaplatz, elle atteint 205 m par an. Face au vallon de Marjeelen, elle passe à 150 m par an. En dessous de la forêt d’Aletsch, la surface de la glace a bien ralenti, elle glisse encore vers l’aval à une vitesse de 50 m par an. Après un aussi long parcours, l’âge de la glace dépasse 600 ans à l’extrémité du glacier.

Konkordiaplatz ©P Tournaire
Konkordiaplatz ©P Tournaire

Les glaciologues ont mesuré à Konkordiaplatz, lieu de confluence des quatre grands appareils glaciaires, la plus forte épaisseur de glace des Alpes : les sondages ont traversé entre 880 et 900 m avant de rencontrer la roche! Les cordons morainiques, d’une impressionnante régularité, qui parcourent la surface du glacier frappent au premier coup d’œil. Ces moraines médianes du Kranzberg et du Truberg naissent de la confluence de trois « icestream » et sont constituées de matériaux arrachés puis entraînés latéralement par l’écoulement de la glace : elles démontrent bien que les flux ne se mélangent pas, mais s’écoulent parallèlement jusqu’à l’extrémité du glacier, donnant à la langue glaciaire l’aspect d’une gigantesque autoroute.

Le cours le plus important du glacier est alimenté par le Grosser Aletschfirm en rive droite. Il  y a un demi siècle, le Mittelaletschgletscher confluait encore avec le glacier principal ; plus en aval, il recevait même, comme affluent, au cours  des maxima du 17e et 19e siècle l’Oberaletschgletscher dont la langue terminale s’insinuait dans la gorge du Talli.

Par ses dimensions et l’ambiance générale qui se dégage, ce glacier s’apparente à une véritable relique de la dernière époque glaciaire. Cette période n’est pas si lointaine et partout dans le paysage les anciennes traces d’érosion glaciaire nous la rappellent.

A l’époque glaciaire : les glaces d’Aletsch viennent en contact avec le Jura !

Au maximum de la glaciation du « Würm », il y a un peu plus de 38 000 ans, notre glacier faisait partie de la zone d ‘alimentation de cet immense nappe de glace qui s’écoulait sur le plateau Suisse à l’emplacement des lacs Léman et de Neuchatel. La glace et la neige remplissaient totalement la vallée d’Aletsch jusqu’à des altitudes considérables : plus de 3100 m d’altitude sur Konkordiaplatz, puis 2800 m au niveau du vallon de Märjelen. A la confluence des glaciers d’Aletsch et du Rhône, la surface des deux gigantesques appareils atteignait 2600 m à la verticale de Brig ; une partie des glaces s’épanchait alors par les cols de l’Albrunn (Binntal) et du Simplon vers les grands glaciers italiens. Quelques millénaires plus tard, le climat graduellement plus clément fait reculer les glaciers ; durant la déglaciation entre – 20 000 et – 13 000 ans, notre glacier conflue encore avec le glacier du Rhône par la dépression du lac de Märjelen. La fin du Würm est ponctuée il y a 12 000 ans d’un dernier coup de froid d’une durée d’un millénaire. Les langues glaciaires redescendent dans toutes les vallées, le grand glacier d’Aletsch atteint alors la plaine de Brig par une vaste chute de glace ; sa langue terminale bifide nous a laissé de nombreux témoins morainiques frontaux au niveau de l’agglomération de Nater. Les plus beaux recouverts de mélèzes et de pin cembros font l’objet de randonnées très didactiques : en rive gauche jusqu’à la Riederfurka et en rive droite, entre le village d’Egga et Belalp.

Le grand glacier d’Aletsch était plus petit il y a 2 500 ans qu’aujourd’hui, et des mélèzes poussaient sur son flanc droit. Trois cents ans plus tard environ, il a renversé ces arbres lors d’une crue : cette crue nous est révélée par de nombreuses datations de bois ;  on a retrouvé sur l’alpage de Ze Bâchu, à proximité du bord actuel du glacier, des restes de mélèzes dont les plus âgés comptaient 280 années. Victimes de celui-ci, il y a 2 200 ans environ, ils avaient donc bien commencé à pousser trois siècles plus tôt.

Après cette crue, la glace a de nouveau fondu, comme en témoignent les bois fossiles découverts sur place : pendant une longue période, qui se situe entre – 2000 et – 1650 ans depuis nos jours, le glacier était plus restreint que maintenant. La fin de l’empire romain marque l’achèvement d’une longue période de conditions climatiques «favorables» qui coïncide remarquablement avec l’époque où les Romains ont étendu leur empire loin vers le nord, au-delà des Alpes.

La découverte de bois fossiles dans la marge proglaciaire

Plusieurs explorations des constructions morainiques latérales du glacier d’Aletsch ont permis de découvrir de nombreux restes de bois fossiles, notamment des troncs et même des souches en place. Combinés avec les données historiques et les découvertes archéologiques, ces résultats de datations reconstituent les fluctuations du glacier depuis 3 500 ans.

Ces vieux morceaux de bois qui réapparaissent lors de la fusion de la glace ont, de tout temps excité l’imagination des habitants des vallées de la région d’Aletsch, et conduit à toutes sortes de spéculations sur le climat des temps passés. Ainsi, grâce à des conditions climatiques plus clémentes que celles d’aujourd’hui, un pommier aurait poussé sur l’alpage d’Aletschji, et l’on raconte qu’une table confectionnée avec le bois d’un noyer abattu à proximité du glacier, se trouverait dans un chalet de l’alpage de Riederalp.

Durant le petit âge glaciaire :

Dès la fin du 16e siècle, le grand glacier d’Aletsch a subi plusieurs grandes avancées dont la dernière, paroxysmale, s’est terminée en 1856.

Suite à la décrue du glacier amorcée depuis 1855, la langue glaciaire a perdu 3 km depuis sa dernière grande extension. Pendant cette période d’opulence glaciaire, notre glacier faisait régner la terreur chez les habitants ; ses crues entre le 17e et le 19e siècle menaçaient l’alpage d’Ussere Aletschji en rive droite ; sur l’initiative des habitants de Natter une procession conduite par les jésuites eut lieu au début du XIX; une croix toujours en place, au lieu dit Baselflie, porte le millésime de 1818. A proximité, un chalet de cet alpage fut détruit par la dernière grande avancée du glacier en 1856.

Croix du Baselflie (1818)
Croix du Baselflie (1818)

 

Ce glacier recèle un des plus beaux lacs glaciaires des Alpes : le lac de Märjelen. Situé en rive gauche dans un vallon secondaire entre le Strahlhorn et l’Eggishorn, son extension est aujourd’hui des plus réduites ; on a peine à imaginer les dangers directement liés au volume qu’il représentait jadis.

En 1878 le glacier, encore proche de son maximum du Petit Age Glaciaire, présentait une épaisseur supérieure d’une centaine de mètres, le lac atteignait  80 m de profondeur sur  une longueur de 1700 m ; son volume, estimé à 11 millions de m3, inspirait alors la peur et l’angoisse aux populations locales. Il suffisait d’un violent orage pour que ses eaux débordent du côté du Fieschertal. Les habitants organisaient régulièrement des processions pour exorciser ces terribles menaces. Les débâcles  du lac côté glacier étaient tout autant redoutées. Quand la muraille de glace ne pouvait plus résister à la pression de l’eau, le lac se vidangeait par les torrents sous glaciaires, faisant déborder jusque dans la vallée du Rhône le torrent émissaire du glacier. L’énorme pression de la masse d’eau qui s’insinuait dans le réseau hydrographique sous glaciaire faisait jaillir depuis le fond des crevasses des colonnes d’eau atteignant parfois près de 100 m de hauteur. 19 débâcles se produisirent entre 1813 et 1900.

Au cours des siècles passés, et surtout depuis le début du petit âge glaciaire, le glacier d’Aletsch était devenu un objet de crainte et de haine pour les Valaisans. Les habitants de Natter attribuaient la responsabilité de ces désastres au « Rollibok » : le prince Roland Bonaparte (glaciologue par passion), qui visita la région en 1889, en fait la présentation : «C’est probablement ce phénomène naturel, précise le scientifique, qui a donné naissance à la légende du « Rollibock ». C’était un monstre terrible et puissant qui sortait soudainement de l’Aletsch pour venir mettre à mort l’audacieux qui avait osé le provoquer ou se moquer de lui. La fuite la plus rapide ne pouvait le mettre à l’abri de son atteinte et, une fois qu’il tenait l’audacieux, il le réduisait en morceaux. Il avait la forme d’un bouc, sa tête était surmontée de deux immenses cornes, ses yeux lançaient du feu, ses poils étaient remplacés par des chandelles de glace qui produisaient un bruit terrible en s’entrechoquant pendant ses courses furieuses. Avec ses cornes, il projetait en l’air à une grande hauteur du sable, des pierres et en même temps des sapins

Le prince Roland Bonaparte sur le glacier en 1889
Le prince Roland Bonaparte sur le glacier en 1889

 

Le spectacle d’une rupture du lac de Märjelen était effectivement propre à impressionner les esprits. Tyndall, le célèbre glaciologue et alpiniste qui avait fait de Belalp sa résidence d’été, décrivit la débâcle de 1876 en ces termes : «Pendant le séjour que j’ai fait cette année au Bel Alp, une catastrophe est arrivée (…). A notre retour au Belalp, nous trouvâmes tout le personnel de l’hôtel aux fenêtres ; tous regardaient avec anxiété du côté du glacier. On entendait un bruit semblable au mugissement d’une cataracte. Les domestiques disaient que, sans doute, la Märjelensee avait rompu ses digues. Le fait était vrai ; pendant quelque temps, l’eau coula sous le glacier; mais parvenue à peu près à moitié du chemin entre le Belalp et l’Egischhorn, elle se fraya un passage du côté de ce dernier, et forma un torrent entre le glacier et le flanc de la montagne. (..) Peu de temps après notre retour au Belalp, les premières eaux du torrent se montrèrent du côté opposé de la vallée, entraînant tout sur leur passage; quelques minutes plus tard, elles s’élançaient dans le vallon que nous avions traversé le matin. (…). Le Rhône était considérablement grossi ; les récoltes étaient endommagées ou perdues, et le conducteur de la diligence ne comprenait rien aux trois pieds d’eau qui couvraient la grande route, sans aucune raison apparente ».

Le Rollibock, appelé aussi Bozo, ne fait plus parler de lui, il est maintenant endormi, et pour bien longtemps, jusqu’à la prochaine grande crue du glacier qui le sortira de son long sommeil.

L’Oberriederi : l’utilité des eaux glaciaires et irrigation pour les terres agricoles

Depuis des siècles, on utilise l’eau de fonte des glaciers pour l’irrigation des prairies et des champs dans les vallées sèches des Alpes centrales. Quelque 1400 kilomètres de canaux d’irrigation appelés « bisses », terme d’origine valaisanne, sont encore en usage de nos jours au Valais.

Ces canaux de faible pente, souvent à ciel ouvert, acheminent l’eau, généralement captée près de la langue des glaciers, vers les versants secs exposés au soleil (principalement des prairies de fauche et des vignes). Les substances en suspension dans ce « lait glaciaire » contribuent à l’étanchéité des bisses et enrichissent de limons fertiles les terres arables.

En Valais, les plus anciens vestiges de bisses remontent à la période romaine.

Depuis 1856, le glacier n’a cessé de reculer. Depuis la fin du XIXe siècle, à la suite du retrait de la langue glaciaire, réapparaissent les anciens « bisses », nom d’origine valaisanne des canaux d’irrigation, construits au Moyen âge.

Avant d’entamer la descente vers le Grünsee, un petit détour à l’ouest du sentier balisé pour Blatten permet de découvrir cet ancien bisse, l’Oberriederi, nom local du bisse construit au Moyen Age,  qui acheminait les eaux de fontes du glacier d’Altesch jusqu’aux pâturages ensoleillés d’Oberried au-dessus du village de Ried-Mörel.

Il était indispensable pour l’irrigation des villages et alpages. La prise d’eau du bisse située à 2000 m d’altitude  était alimentée par le glacier. Après un parcours de 11 km il terminait son cours dans les prairies d’Oberried ; il fut reconstruit à plusieurs reprises, le front du glacier changeant régulièrement de position au rythme des crues et des décrues.

Le chemin de randonnée suit partiellement son tracé. Afin de contourner l’arrête du Riederhorn,  des bazots suspendus ont été aménagés à flanc de parois. Ce sont des troncs en forme de gouttières creusés à l’herminette pour faire couler l’eau. On admire aujourd’hui  des vestiges dont l’un a été restauré au lieu-dit Chnebelbrigga.

 Bazot suspendu (restauré) à Chnebelbrigga
Bazot suspendu (restauré) à Chnebelbrigga

 

Aujourd’hui la décrue ; jusqu’à quand ?

Depuis 1855 le glacier n’a fait que reculer comme tous les glaciers des Alpes, mais il en a vu d’autres et, la situation semble se répéter. Depuis la fin du 19e siècle, d’anciens « bisses », nom d’origine valaisanne des canaux d’irrigation, construits au Moyen âge sont réapparus à la suite du retrait de la langue glaciaire. L’« Oberridéri », nom local du bisse, était  indispensable pour  l’irrigation des villages et alpages. La prise d’eau du bisse était alimentée par le glacier ; il fut reconstruit à plusieurs reprises, le front du glacier changeant régulièrement de position au rythme des crues et des décrues.

  

Personne actuellement ne peut prédire quand aura lieu la prochaine avancée. Le glacier d’Aletsch, par son immensité, a un temps de réaction très lent ; une péjoration climatique importante et surtout suffisamment longue, telle que celles des VIIIe, XIVe siècles, et du Petit Age Glaciaire, favorisera, bien entendu, une progression de la langue glaciaire. D’après le glaciologue Hanspeter Holsauzer, de l’université de Zurich, la durée minimale d’une péjoration climatique devra dépasser 40 années. On peut en effet constater que la langue terminale n’a jamais enregistré les petites crues du 20e siècle, comme la plupart des autres glaciers des Alpes et aujourd’hui, elle continue inexorablement son lent retrait. D’après les récentes mesures, ce dernier s’est accéléré depuis une dizaine d’années, le front du glacier régressant de 50 à 60 m par an. Selon Hanspeter Holsauzer le glacier atteindra son niveau d’étiage de l’Age du Bronze en 2 040, soit un recul de près d’un kilomètre.   

Galerie photos

Calottes glaciaires

Calottes glaciaires, inlandsis

Une calotte glaciaire est un glacier de grande dimension mais dont la superficie n’excède pas 50 000 km2 et dont les caractéristiques le rapprochent des inlandsis.

Un inlandsis est un glacier, d’une étendue supérieure à 50 000 km2, se présentant sous la forme d’une nappe de glace pouvant atteindre plusieurs milliers de mètres d’épaisseur. Sur Terre, il en existe deux aujourd’hui : l’inlandsis de l’Antarctique, le plus étendu et situé au pôle Sud, et l’inlandsis du Groenland, situé sur l’île du même nom à proximité du pôle Nord.

Le terme inlandsis est d’origine danoise et signifie littéralement « glace de l’intérieur du pays » ou « glace de l’arrière pays ».

Les inlandsis actuels

l’inlandsis du Groenland d’où vient le nom ;

l’inlandsis de l’Antarctique (parfois divisé en deux avec d’un côté l’Antarctique occidental et de l’autre l’Antarctique oriental).

Le Vatnajökull en Islande, l’un des plus grands glaciers du monde, n’est pas considéré comme un inlandsis car avec 8 100 km2 de superficie, il ne dépasse pas les 50 000 km2 requis. Ces glaciers de très grande dimension et ayant certaines des caractéristiques des inlandsis sont appelés calottes glaciaires.

La formation des inlandsis repose sur le même principe que celle des glaciers : une accumulation de neige résultant d’une fonte insuffisante provoque un tassement de la neige qui expulse l’air qu’elle renferme et se transforme en glace. Cette glace est suffisamment plastique pour se déformer selon la gravité ou son propre poids. Dans le cas des inlandsis, c’est le poids de la glace qui provoque son déplacement par fluage, la pente à l’échelle d’un continent ou d’une grande île étant trop faible pour provoquer un écoulement gravitaire. Un équilibre entre apport de neige, poids de la glace et ablation de neige (sublimation, fonte, vêlage d’icebergs) s’effectue alors et la masse de glace stabilise son épaisseur et son étendue. Un inlandsis se maintient plus par une faible ablation que par un fort apport de neige.

Une coupe de profil d’un inlandsis permet de distinguer plusieurs points récurrents :

une surface convexe : les bords d’un inlandsis sont pentus et son centre est formé de plusieurs dômes très peu marqués qui donnent l’apparence d’un plateau ;

une couche de glace très épaisse, en général 2 000 mètres d’épaisseur, pouvant atteindre 4 000 mètres d’épaisseur ;

un substrat rocheux pouvant se trouver sous le niveau de la mer ;

un débordement sur la mer (mer de Ross et mer de Weddell en Antarctique) ;

un front glaciaire pouvant faire le tour de l’inlandsis et produisant de nombreuses digitations et lobes glaciaires ;

une production d’icebergs : tabulaires lorsqu’ils proviennent du vêlage des shelves, sans forme particulière lorsqu’ils proviennent de l’avancée de langues glaciaires en milieu marin ;

une absence de relief émergeant à l’exception des nunataks.

Les inlandsis renferment 98 % de l’eau douce de la Terre.

 

L’inlandsis du Groenland

C’est un des reliquats de la dernière glaciation dans l’hémisphère nord.

Il est généralement admis que l’inlandsis du Groenland s’est formé à la fin du Pliocène (4,3 Ma) par coalescence de plusieurs calottes glaciaires. Celles-ci se sont formées sur des terres autrefois tempérées.

Cependant il existe une controverse concernant l’apparition des glaciers sur cette ile. Une équipe de chercheurs du laboratoire Géosciences Rennes (Géosciences Rennes/OSUR : CNRS / Université Rennes 1) en collaboration avec des chercheurs anglais, a confirmé l’apparition de glaciers (pas encore de calotte) il  y a environ 30 millions d’années à partir de données thermochronologiques et de l’analyse morphologique du paysage.

http://www.insu.cnrs.fr/node/5989

La glace la plus ancienne atteint 250 000 ans et est maintenue par l’accumulation annuelle de la neige qui compense les pertes par vêlage et fonte au niveau des marges.

Le Groenland © NASA
Le Groenland © NASA

 

Ses dimensions sont de : 2 400 kilomètres du Nord au Sud et 1 000 kilomètres d’Est en Ouest. Sa surface, relativement plate, est de 1 726 000 km2 et a une altitude moyenne de 2 135 mètres. La glace peut atteindre l’épaisseur de 3 000 mètres au centre de l’inlandsis, ceci représente un volume global de 2 Millions de km3 de glace, soit près de 10 % de l’eau douce de la surface du globe.

Le poids de la glace a enfoncé la zone centrale du Groenland, la surface du substratum rocheux est proche du niveau des mers à l’intérieur du Groenland, mais des massifs montagneux existent  le long de ses marges. La surface de la glace atteint sa plus grande épaisseur sur deux zones allongées. Le dôme du Sud atteint près de 3000 mètres à des latitudes 63 ° – 65 ° N ; le dôme Nord atteint environ 3290 mètres à une latitude d’environ 72 ° N. De grands glaciers émissaires de la calotte s’écoulent dans  les fjords  bordant l’inlandsis, ils sont à l’origine de la production de nombreux icebergs. Le plus connu de ces glaciers émissaires est le Jakobshavn Isbræ également connu sous le nom de glacier Jakobshavn ou glacier Ilulissat. Le Jakobshavn Isbræ est l’un des glaciers les plus rapides, avançant à son terminus à une vitesse de 20 mètres par jour. Étudié depuis plus de 250 ans, le Jakobshavn Isbræ a permis de développer la compréhension des changements climatiques et l’étude de l’inlandsis du Groenland

Les icebergs qui se détachent du glacier sont souvent si volumineux (jusqu’à 300 m de hauteur) qu’ils ne peuvent pas flotter dans le fjord et se retrouvent bloqués pendant des années jusqu’à qu’ils soient brisés par la force des icebergs en amont du fjord.

Vers une fonte de la calotte glaciaire ?

L’augmentation de la fonte en surface de la calotte du Groenland au cours de ces 28 dernières années le confirme. Xavier Fettweis, du Laboratoire de climatologie et de topoclimatologie de l’ULG, a démontré que ses glaces fondent beaucoup plus vite que ce qui avait été estimé précédemment : la surface de fonte de la calotte a augmenté de 45% depuis 1979. De plus, la température estivale moyenne du Groenland s’est élevée de 2,4°C entre 1979 et 2006

fonte de la surface de l'inlandsis
fonte de la surface de l’inlandsis
Perspectives d'évolution de l'inlandsis sur 1200 ans
Perspectives d’évolution de l’inlandsis sur 1200 ans

 

A la recherche de la glace la plus ancienne sur Terre
Climat et inlandsis Groenland PDF

L’inlandsis  de l’Antarctique

C’est le continent le plus méridional de la Terre. Situé autour du pôle Sud, il est entouré de l’océan Austral (ou océan Antarctique) et bordé par les mers de Ross et de Weddell.

 

 

L’Antarctique est le continent le plus froid, le plus sec et le plus venteux. C’est également, de tous les continents, celui qui a l’altitude moyenne la plus élevée. Puisqu’il n’y tombe que peu de précipitations, excepté sur ses parties côtières où elles sont de l’ordre de 200 mm par an, l’intérieur du continent constitue techniquement le plus grand désert du monde. Il n’y a pas d’habitat humain permanent et l’Antarctique n’a jamais connu de population indigène. Seuls des plantes et des animaux adaptés au froid, au manque de lumière et à l’aridité y survivent, comme des manchots, des phoques, des poissons, des crustacés, des mousses, des lichens et de nombreux types d’algues.

Le nom « Antarctique » vient du grec νταρκτικός (antarktikós), qui signifie « opposé à l’Arctique ». Bien que des mythes et des spéculations concernant une Terra Australis (« Terre Australe ») remontent à l’Antiquité, le continent ne sera aperçu (voir redécouvert, car mentionné sur les cartes des Portulans

HYPERLINK « http://www.cirac.org/infos-fr/portulans.htm » http://www.cirac.org/infos-fr/portulans.htm

 Carte attribuée à l'amiral et cartographe ottoman Piri Reis qui l'aurait tracée en 1513
Carte attribuée à l’amiral et cartographe ottoman Piri Reis qui l’aurait tracée en 1513

 

pour la première fois qu’en 1820 par l’expédition russe de Mikhaïl Lazarev et Fabian Gottlieb von Bellingshausen. Cependant le continent suscita peu d’intérêt jusqu’à la fin du XIXe siècle, principalement en raison de son environnement hostile, de son manque supposé de ressources naturelles et de son isolement géographique.

À la suite du traité sur l’Antarctique signé en 1959 par douze états et suivi en 1991 par le protocole de Madrid, ce continent acquiert un statut particulier : les activités militaires y sont interdites ainsi que l’exploitation des ressources minérales, sauf celles qui sont menées à des fins scientifiques. Les signataires accordent la priorité à ce type de recherche. Les expériences en cours sont effectuées par plus de 4 000 scientifiques de diverses nationalités et ayant des intérêts différents. Considéré comme une réserve naturelle, le continent est protégé par la convention sur la conservation de la faune et la flore marine de l’Antarctique (CCAMLR) et divers accords internationaux sur la protection de la biodiversité et sur la restriction du tourisme. Modeste ressource jusque dans les années 1980, le tourisme attire de plus en plus de visiteurs : 10 000 en 2000, 37 000 en 2010, soit sept fois plus de personnes que le nombre de scientifiques présents. La majorité des touristes se concentre durant l’été à proximité de la péninsule Antarctique. Depuis 1991, des mesures de régulation et de protection ont été prises. L’Association internationale des tour-opérateurs antarctiques (IAATO), qui regroupe 80 % des tour-opérateurs opérant sur ce continent, a établi un code de conduite, prône un tourisme éducatif et coopère avec les scientifiques en mettant à leur service la logistique et les moyens de transport. Aussi, les États se sont inspirés de ses travaux et données pour élaborer un code international très contraignant.

Genèse de l’Antarctique

Vers 40 Ma, l’Australie et la Nouvelle-Guinée se séparent de l’Antarctique si bien que les courants sont susceptibles de l’isoler de l’Australie. Avant cette période, la Terre est plus chaude qu’aujourd’hui, mais le déplacement du continent vers le sud s’accompagne d’un refroidissement de la planète, autant que de la chute des températures sur le continent. Ainsi, la glace commence à y apparaître. Il y a environ 34 Ma, le niveau de CO2 est proche de 760 ppm (405 ppm en 2016) bien qu’il soit déjà en baisse par rapport aux précédents niveaux qui dépassaient  900 ppm (optimum climatique de l’Eocène). Vers 23 Ma, le passage de Drake s’ouvre entre l’Antarctique et l’Amérique du Sud, formant le courant circumpolaire antarctique qui finit d’isoler le continent. Diverses études suggèrent que le niveau de CO2 baisse, dès lors, plus rapidement. Il semble que ce soit l’apparition du courant circumpolaire qui entraîne une baisse plus grande de la température. La glace commence à gagner du terrain et remplace les forêts. Depuis environ 15 Ma, le continent est en grande partie recouvert de glace tandis que la calotte glaciaire atteint une extension proche de l’actuelle il y a 6 Ma.

L’optimum climatique de l’Éocène

L’Éocène correspond à l’épisode climatique le plus chaud de l’ère du Cénozoïque et l’un des plus chauds des temps géologiques.

Cet événement climatique culmine durant l’Éocène inférieur il y a entre environ 54 et 49 millions d’années (Ma). Durant cet intervalle, la Terre retrouve des températures extrêmes similaires à celles du bref événement hyperthermique intervenu 2 Ma d’années plus tôt, lors du maximum thermique du passage du Paléocène à l’Éocène (PETM).

L’époque de l’Éocène montre une grande variabilité de conditions climatiques avec cependant une nette prédominance de climats chauds à l’échelle du globe.

Les variations de la composition isotopique de l’oxygène (δ18O / 16O) et du carbone (δ12C / 13C) des carbonates constituant les coquilles des foraminifères marins permettent d’évaluer l’importance de ces variations de températures de l’océan.

Après le PETM qui marque le début de l’Éocène, le dioxyde de carbone (CO2) émis est massivement séquestré sur une durée assez courte à l’échelle géologique (de l’ordre de 100 000 à 150 000 ans) grâce à :

  l’activité biologique très intense, favorisée par les températures élevées, dans les eaux superficielles des océans comme sur les continents. La matière organique est ensuite transportée dans les océans et déposée dans les zones océaniques plus profondes où elle est enfouie par sédimentation;

  l’ importante altération des silicates sur les continents qui accélère la fixation du CO2.

Les températures redescendent à leur niveau antérieur au PETM avant de remonter progressivement pour se maintenir pendant au moins 5 Ma à un niveau très élevé appelé l’optimum climatique de l’Éocène (voir courbe climatique ci contre).

Cet optimum est caractérisé par des températures moyennes de l’océan Austral supérieures d’environ 10°C à la moyenne mondiale des températures actuelles.

De plus, les contrastes entre températures de surface et de fond de mer sont faibles. Les saisons sont peu contrastées et les forêts tropicales remontent au-delà de 50° de latitude dans les deux hémisphères.

Évolution globale des température de la Terre depuis 65 millions d'années. L’optimum climatique de l’Éocène est indiqué comme Éocène Optimum.
Évolution globale des température de la Terre depuis 65 millions d’années. L’optimum climatique de l’Éocène est indiqué comme Éocène Optimum.

 

La Terre à l'Eocène il y a 50 millions d'années
La Terre à l’Eocène il y a 50 millions d’années

 

Avec une superficie de 14 millions de kilomètres carrés, l’Antarctique est plus grand que l’Europe et l’Océanie. Quelque 98 % de sa surface sont recouverts d’une couche de glace d’une épaisseur moyenne de 1,6 km. C’est pourquoi la morphologie du sous-sol antarctique reste encore peu connue voire inconnue, alors que petit à petit se dévoile la présence de lacs subglaciaires à l’exemple du lac Fryxell et sous glaciaires à l’exemple du lac Vostok.

Le lac Fryxell est un lac de 4,5 km de long, situé entre le glacier Canada et le glacier Commonwealth, au fond de la vallée de Taylor, dans la terre Victoria.

Le glacier Canada et le lac Fryxell ©Photolia
Le glacier Canada et le lac Fryxell ©Photolia

 

Découverts très récemment, les lacs sous glaciaires n’ont encore jamais pu être explorés ! Le lac Vostok, découvert dans les années 90 est le plus grand lac sous glaciaire d’Antarctique.

Vostok est à l’origine, une station russe, destinée au forage de la glace et aux études climatiques. Elle fut célèbre pour l’une de ses carottes qui a permis initialement d’étudier un enregistrement climatique de 400 000 ans. Mais les scientifiques russes de la Station Vostok n’avaient évidemment pas conscience de se trouver au dessus du plus grand lac sous glaciaire d’Antarctique !

Piégé sous 4 km de glace depuis approximativement 30 millions d’années, cette  masse d’eau a une superficie comparable à celle de la Corse et une profondeur de plus de 1200 m sous la glace (plus de 1500 m en-dessous du niveau de la mer).

Comment l’eau peut-elle rester liquide, même sous 4 km de glace ?

C’est la chaleur de la terre (flux géothermique) et la pression importante exercée par la glace qui permettent aux masses d’eau sous glaciaires de rester à l’état liquide en profondeur.

Ce lac est unique car, isolé de l’atmosphère terrestre depuis plusieurs millions d’années, il a probablement obligé des organismes vivants s’y trouvant à développer des aptitudes de survie très poussées.

C’est un lac d’origine tectonique, ce qui augmente encore davantage la probabilité d’y trouver de la vie. En effet, bien que cet environnement soit hostile, il est resté parfaitement stable pendant ses 23 millions d’années d’isolement, laissant ainsi la possibilité à des formes de vie de s’y développer et s’y adapter.

Les enjeux de cette découverte sont importants. Les scientifiques espèrent évidemment découvrir de nouvelles formes de vie dans ce lac et, s’ils en trouvent, les préserver. Car l’ouverture de ce lac coupé de l’atmosphère terrestre depuis plus de 20 Ma pourrait probablement détruire tout ce qui s’y trouve. D’où l’accord international (établi entre 2000 et 2006) des scientifiques de travailler en commun pour développer des techniques qui permettraient d’explorer le lac et d’en étudier l’eau et les sédiments avec des impacts réduits.

Mais certains scientifiques voient en ce lac une autre opportunité que la « simple découverte terrestre ». Car les conditions environnementales du Lac Vostok sont en effet similaires à celle d’une des lunes de la planète Jupiter : Europe, totalement recouverte de glace. Si le lac Vostok cache des formes de vie évoluées et jusqu’alors inconnues alors on peut imaginer qu’Europe en abrite aussi dans des lacs liquides souterrains !

Le climat de l’Antarctique

L’Antarctique est le lieu le plus froid sur Terre. C’est sur ce continent que la température naturelle la plus basse de la planète, -89,2 °C, a été enregistrée à la station russe de Vostok le 21 juillet 1983. Pour comparaison, c’est 11 °C de moins que la température de sublimation du dioxyde de carbone. L’Antarctique est un désert glacé où les précipitations sont rares soit 200 mm en moyenne par an. Le pôle Sud par exemple, en reçoit moins de 100 mm par an en moyenne. En hiver, les températures atteignent un minimum compris entre -80 °C et -90 °C à l’intérieur du territoire. Les températures maximales se situent entre 5 °C et 15 °C et sont atteintes près des côtes en été. Le soleil cause souvent des problèmes de santé, comme la photokératite, car la majorité des rayons ultraviolets qui frappent le sol est réfléchie par la neige.

La partie orientale de l’Antarctique est plus froide que la partie occidentale en raison d’une altitude moyenne plus élevée. Les fronts météorologiques peuvent rarement pénétrer l’intérieur du continent, ce qui contribue à le rendre froid et sec, bien que la glace s’y conserve sur des périodes prolongées. Les fortes chutes de neige sont courantes sur les côtes : des enregistrements montrent qu’elles peuvent atteindre 1,20 m en 48 heures.

Sur les côtes, de forts vents catabatiques balaient violemment le plateau Antarctique. À l’intérieur des terres, la vitesse du vent est cependant modérée. Les beaux jours d’été, il y a plus de radiations solaires qui atteignent la surface du pôle Sud qu’à l’Équateur, car l’ensoleillement atteint alors près de 24 heures par jour.

L’Antarctique est plus froid que l’Arctique pour deux raisons. La première raison est qu’une grande partie du continent se situe à plus de 3 km au-dessus du niveau de la mer, or la température diminue avec l’altitude. La seconde raison est que la région polaire arctique est recouverte par l’océan qui transmet sa chaleur relative à travers la banquise, permettant ainsi de maintenir des températures plus élevées qu’en Antarctique.

Compte tenu de la latitude, les longues périodes successives d’obscurité et d’ensoleillement créent un climat peu familier pour les êtres humains habitant le reste du monde. Les aurores polaires, courantes dans les zones australes, sont un phénomène lumineux visible dans le ciel nocturne près du pôle Sud qui résultent de l’interaction des vents solaires avec la haute atmosphère terrestre.

Glaciers et ice shelves

Le continent est recouvert d’une immense calotte glaciaire, elle même composée d’un nombre important de glaciers émissaires. Toute cette glace est en perpétuel mouvement, et les lois de la gravité contribuent à déplacer la glace d’un point élevé vers un point bas. La ligne d’équilibre glaciaire étant située au niveau de la mer, ces glaciers atteignent l’océan et se mettent à flotter. Ainsi, l’inlandsis se prolonge dans certains secteurs par d’immenses plateformes de glace (ice shelves), s’étalant et flottant sur l’océan Austral, dont les surfaces cumulées dépassent 1,5 millions de km². Les 3 plus importantes sont celles d’Amery, de Ronne-Filchner et de Ross, dont la superficie est voisine de celle de la France.

Un shelf (au singulier) n’est donc que le prolongement d’un glacier pour la partie flottant sur l’eau. Il est la plupart du temps alimenté par plusieurs glaciers.

Un phénomène a été mis en évidence : les eaux provenant de la formation de la banquise proche du continent (des eaux denses en raison de leur forte salinité) effectuent un trajet sous-marin en dessous de l’ice-shelf en direction la ligne d’échouage. Elles sont alors amenées à plus forte pression : ces eaux se trouvent au-dessus de leur point de congélation et disposent, dès lors, de l’énergie suffisante pour faire fondre une certaine quantité de glace se situant à la base de l’ice-shelf. Ce phénomène engendre des eaux de fonte naturellement moins denses (puisque la glace de l’ice shelf n’est pas salée) qui se faufilent en dessous de la plate-forme glaciaire ; leur pression diminue, leur température s’abaisse au point de congélation et se transforme en glace (appelée frazil ou glace marine) qui vient se coller sous le shelf, l’épaissir et donc, le renforcer.

La plus grande plateforme en Antarctique est celle de Ross avec une surface d’environ 473 000 km² (France = 550 000 km2) et une épaisseur moyenne de 430 m. Suit la plateforme de Ronne d’une surface plus petite avec 420 000 km² mais qui est en revanche plus épaisse avec 660 m en moyenne. La carte présentée ici montre les principaux shelves (au pluriel) en Antarctique. Deux d’entre eux ont particulièrement fait parler d’eux ces dernières années avec des départs à la dérive de pans entiers, notamment l’ice shelf de Larsen et de celui de Wilkins.

Cartographie des shelves autour de l’Antarctique
Cartographie des shelves autour de l’Antarctique

 

En avançant sur l’océan, les shelves se fragmentent en dalles de glace dont l’épaisseur peut atteindre 300 m et forment des icebergs tabulaires qui se fragmentent ensuite. Certains ont parfois atteint la surface de la Corse.

Remarque : un shelf ou plate-forme glaciaire flottante, peut être comparé à une énorme dalle de glace d’eau douce qui, alimentée par un ou plusieurs glaciers producteurs, s’avance sur l’océan. Il ne s’agit donc pas de glaces marines (banquise) qui se forment lorsque la température de l’eau de mer descend en dessous de – 1,8 °C, mais de glaces continentales issues de glaciers qui s’évacuent dans l’océan.

Localisation des shelves actuels

Les shelves sont généralement confinés dans des baies où le frottement contre les parois freine l’écoulement de la glace. Ils peuvent aussi s’échouer sur des îlots ou des hauts fonds (ou ice rises). Dans ce cas, le frottement basal produira également un ralentissement. Lorsqu’une baie est assez ouverte, l’ice shelf n’est plus confiné, ce qui signifie que son étalement est isotrope (dans le plan horizontal). Sa vitesse devient très élevée et son épaisseur diminue rapidement. Ces shelves non confinés sont généralement très instable et fragiles.

Actuellement, les grands ice shelves se situent dans des baies autour de l’Antarctique. Les principaux sont : le Ross Ice Shelf, Ronne-Filchner ice shelves (parfois appelé Ronny-Filchner) et l’Amery Ice Shelf. Leur épaisseur de 1 000 – 1200 m à la ligne d’échouage décroît généralement à environ 150 à 250 m au front.

On trouve des shelves plus modestes dans la majorité des baies de l’Antarctique et des régions englacées de l’Arctique. Les conditions climatiques (températures trop élevées) limitent l’existence des plates-formes flottantes (Mercer, 1978).

Important réchauffement de la péninsule ouest Antarctique

Depuis quelques décennies, plusieurs plateformes glaciaires se sont disloquées

Ces phénomènes sont surveillés de près car leur accélération pourrait contribuer, d’une manière générale, à augmenter le niveau des océans.
En 2002,la désintégration d’une partie du shelf de Wilkins témoigne d’une fonte particulièrement active : « nous pensons que le plateau Wilkins existe depuis quelques centaines d’années, mais l’air chaud et les vagues de l’océan provoquent sa dislocation », a expliqué Ted Scambos glaciologue à l’Université du Colorado.  La plateforme de Wilkins est située au sud-ouest de la péninsule Antarctique, à environ 1000 km au sud de l’Amérique du Sud. Le plateau de glace de Wilkins couvre une superficie de 16 000 km², c’est à dire la taille de l’Irlande du Nord.


Or, au cours des 50 dernières années, l’ouest de la péninsule Antarctique a connu la plus grande augmentation de la température sur la Terre, avec une hausse de 0,5 degré Celsius par décennie. Ainsi, cette région de l’Antarctique connaît un réchauffement sans précédent depuis un demi-siècle, comme en témoigne le retrait de plusieurs plates-formes glaciaires durant ces 30 dernières années et l’effondrement total de six d’entres elles : Prince Gustav Channel, Larsen Inlet, Larsen A, Larsen B, Wordie, Muller et Jones.

https://fr.sott.net/article/26925-Polemique-climatique-la-NASA-annonce-que-l-Antarctique-gagne-plus-de-glace-qu-elle-n-en-perd