Le réseau hydrographique du glacier 

Dans les entrailles du glacier

Explorer de près les phénomènes qui se produisent à l’interface glace-roche s’est longtemps révélé quasi impossible dans la plupart des cas en raison de l’inaccessibilité du lit rocheux. Les glaciologues profitent d’installations hydroélectriques ou tirent parti de rares cavités naturelles pour mener à bien leurs observations scientifiques.

Le développement des méthodes de mesure a permis de mettre en évidence le rôle essentiel joué par le réseau hydraulique sous glaciaire dans les processus d’écoulement d’un glacier tempéré.

Bédières, moulins et torrents sous-glaciaires

Au retour de la belle saison, la couverture nivale commence à fondre. L’eau s’infiltre à travers le névé jusqu’à atteindre la couche de glace sur laquelle elle ruisselle en constituant des ruisseaux, nommés bédières. Dès que les ruisseaux trouvent un point faible, comme une crevasse, ils s’y engouffrent et excavent petit à petit leurs chenaux, formant ainsi un moulin (l’expression est due à James David Forbes), gouffre vertical qui peut atteindre plusieurs dizaines de mètres. Le glacier s’apparente ainsi à un réseau karstique calcaire, mais comment s’écoule l’eau du glacier et où ?

La bédière, torrent qui draine les eaux de fontes estivales à la surface de la Mer de Glace
La bouche béante du moulin de la Mer de Glace, le premier puits atteint une profondeur de 60 m

En septembre 1841, Agassiz en personne est le premier à descendre, couvert de peaux de chèvres, dans un « moulin » du glacier de l’Unteraar (Suisse, alpes bernoises) où se perdent les eaux de surface, jusqu’à une trentaine de mètres de profondeur. En 1896, c’est au tour de Joseph Vallot sur la Mer de Glace et l’année suivante de l’alpiniste Émile Fontaine qui atteint la profondeur de 60 m dans un moulin inactif du glacier de Leschaux. Près d’un siècle plus tard, en 1987, Jean-Marc Boivin, Jeannot Lamberton et Haroun Tazieff descendent jusqu’à 110 m dans un moulin de la Mer de Glace.

3-  Schéma du moulin exploré par Joseph Vallot en 1897

Explorer l’interface glace-roche est devenu réalisable aujourd’hui grâce aux travaux entrepris par les compagnies électriques pour capter les torrents sous glaciaires.

En France, trois glaciers ont ainsi été explorés. Le premier captage sous glaciaire est réalisé entre 1942 et 1943 au glacier de Tré-la-Tête. Les travaux sont dirigés par l’ingénieur Max Waeber, en véritable pionnier, qui trouve la mort en 1949 en tombant dans le torrent objet de ses travaux ! Puis vient le tour du glacier d’Argentière : en  1965 débutent des travaux gigantesques pour capter ses eaux sous les séracs de Lognan.  Un réseau de galeries permet alors de multiples accès sous le glacier : à 2040 m d’altitude  la glace décolle du lit rocheux et crée toute une série de cavités permanentes. Véritable laboratoire de glaciologie situé à l’interface glace-roche, elles sont aménagées en 1970 par le glaciologue Robert Vivian, puis par le glaciologue Luc Moreau dans les années 1990. Le site permet d’enregistrer en permanence les vitesses d’écoulement du glacier.

Enfin un dernier captage a été réalisé en 1973 sous la langue terminale de la Mer de Glace pour alimenter l’usine hydroélectrique des Bois.

Sous le glacier de Tré-la-Tête en 1943, l’homme de gauche est l’ingénieur Max Waeber
Sous le glacier de Tré-la-Tête en 1943, l’homme de gauche est l’ingénieur Max Waeber
Dans la cavité sous glaciaire du glacier d’Argentière
Dans la cavité sous glaciaire du glacier d’Argentière